Vu enfin aujourd’hui « Leviathan». C’est très beau visuellement, très bien joué, certaines scènes sont vraiment puissantes.
Mais :
-c’est dix fois moins beau, subtil et habité que « Winter Sleep »
- ça dure 2h20 alors que ce serait beaucoup plus fort si ça durait 1h30 comme les trois quarts des films « de festival » (à l’exception de « Winter Sleep » même s’il dure plus de 3 heures)
- ça a eu le prix du scénario à Cannes alors que scénaristiquement ça enfonce les portes ouvertes les unes à la suite des autres (méchants encore plus caricaturaux que dans les Disney, russes encore plus caricaturaux – quasiment pas un plan sans vodka- que dans les « Don Camillo »...-,) le réalisateur n’a aucune compassion pour ses personnages qui n’ont pas une once de subtilité, et les dix dernières minutes maltraitent tellement le personnage principal (qui était déjà au plus bas) que ça en devient presque sadique.
- Je suis plutôt d’accord avec Léa H. spectatrice d’ « Allociné » qui écrit « Le mariage de l’extrême misérabilisme du récit et de l’apparat presque clinquant d’une mise en scène classieuse évoque le travers « grand film d’auteur doloriste » qu’adoptent un peu trop facilement nombres de cinéaste talentueux mais englués dans un académisme mortifère (et finalement très complaisant puisqu’ils ciblent un public de festival international en mal de noirceur glacée et altière). Finalement, tout cela manque cruellement de vie ! »
Plus généralement, ça m’amène à une constatation : s’il y a des tas de grands cinéastes aujourd’hui qui savent filmer le glauque, le sordide, le malheur sous toutes ses formes, combien sont-ils à savoir filmer des sentiments vrais, des gens heureux (même dix minutes comme dans « Mommy » lorsque l’écran s’agrandit pour la première fois), des scènes drôles et émouvantes avec un fond, des sentiments subtils, qui savent filmer l’élégance plutôt que la déchéance (ou qui sachent parler de la déchéance avec élégance ou humour comme dans le cinéma italien des années soixante-dix), qui sachent exploiter l’intelligence d’un récit plutôt que sa force démonstrative, qui sachent filmer le bonheur tout simplement ?
Si Bergman, Dreyer ou Eisentein ont fait des cargaisons d’émules ; Fellini, Lubitsch, Sautet, Comencini, Demy, Bunuel ou Chaplin entre autres exemples de grands cinéastes tournés vers l’humain, la poésie ou le surréalisme ont peu de descendants.
Bientôt, filmer un sourire deviendra un acte rare et isolé quasiment révolutionnaire, alors que filmer des larmes, des cris, des meurtres sordidessociaux, des personnages tordus en deux ou en trois dans une rue sordide ou dans un paysage « bigger than life » sera aussi banal que les « happy ends » dans les films hollywoodiens de l’âge d’or. On me dira que c’est la crise et qu’il y a les comédies populaires mainstream pour distraire les spectateurs. Mais on peut aussi faire du grand cinéma en étant distrayant, optimiste, idéaliste ou rêveur. Et exprimer autre chose que : le monde est définitivement dégueulasse et les gens sont des victimes sans possibilité de révolte.
Je rêve d’un grand film qui se termine sur un visage plutôt que sur un paysage. Un cinéma qui propose une vision du monde au lieu d’un constat désespéré du monde. Un cinéma qui pense plutôt qu’un cinéma qui démontre. Un cinéma qui respecte les personnage au lieu de les maltraiter avec une cruauté qui se camoufle noblement sous les mots lucidité ou franchise. Un cinéma qui s’adresse aux jeunes et à la province – moi à quinze ans, dans ma petite ville de province, ce sont les films qui m’ont donné de l’espoir, de la révolte, de la complexité- et pas seulement aux bobos parisiens en mal de social crade et d’empathie à bon marché pour des supposés « gens du peuple ».