Leviathan aurait mérité la Palme d'Or en 2014 et de très loin ! Un authentique monument, de la tragédie grecque ou plutôt russe aux accents bibliques, où le drame inéluctable, fruit amer ou pourri de la victoire infâme du fort sur le faible, se noue sournoisement à l'abri des regards mais dans la lumière crue d'une justice aveuglée, aux ordres. La justice des hommes corrompus. Celle de Dieu n'est pas en reste et pour cause, "la vertu ne se décrète pas, n'exige aucune contrepartie, ton chemin de croix sera celui de la rédemption" susurre le croyant à l'incroyant jusqu'à ce que ce dernier courbe complètement l'échine et finisse comme ce squelette de baleine ou cette épave de bateau... Ironie du sort, sa maison sera finalement remplacée par... Une église. Habile façon de rappeler que les écrits saints sont aussi les premiers arguments commerciaux pour faire prospérer une foi religieuse dont les prétendus détenteurs (les mêmes qui tiennent le pouvoir) exploitent sans vergogne la crédulité d'hommes brisés. C'est ainsi que notre héros va payer sans broncher pour un crime qu'il n'aura pas commis. L'enfer c'est parfois la religion. Tout dépend de ce qu'on en fait, de ce qu'on lui fait dire. La satire est l'une des redoutables armes de Leviathan, critique à peine voilée d'une religion d'Etat, d'une croyance érigée en cadre dogmatique qui va donner bonne conscience au bourreau lorsque le moment sera venu d'écraser le citoyen comme une vermisseau. C'est pourquoi derrière son ineffable noirceur le film réveille les consciences, nous ouvre les yeux, nous ait réaliser combien les donneurs de leçons, les moralisateurs, les chantres religieux de la bien pensance sont souvent les mauvais payeurs, parce que toujours du coté des puissants. Jamais des faibles...
Du côté des références, j'ai aussi pensé à la légende Arthurienne. Pas que pour ces décors grandioses dans lesquels on finit par se demander si l'homme moderne ne serait pas né quelques part sur les rives de la mer de Barents. Le héros Kolia me rappelle cet Arthur de devoir qui ne voit pas Guenièvre s'amouracher de Lancelot (pourtant son premier défenseur, l'avocat venu de Moscou) bien trop occupé qu'il est à préserver l'unité de son royaume : la maison héritée de plusieurs générations, les souvenirs, son sang. Sur cette terre du bout du monde on l'imagine bien s'écriant après le verre de trop "Une terre, un roi". Quel rôle pourrait alors jouer son fils, Mordred alias Roma, dans la décomposition du foyer familial ? Celui d'un adversaire en devenir ? L'un des responsables indirects de la tragédie en gestation ? Certainement et cette grille de lecture multiple donne déjà en soi toute la grandeur du sujet, des sujets du film se débattant pour s'arracher au joug d'un destin malicieux, au sens de messager discret, invisible du "mal". Sorte de visiteur du soir difficile à empiéter comme lors de cette incursion nocturne et menaçante d'un maire aviné sur les plates bandes de Kolia.
Alors certains auraient eu le malheur de comparer cet immense film à Winter Sleep ? Invraisemblable ! Leviathan se construit avant tout sur le réel, sur des personnages qui existent dans une géographie mais surtout dans une société, sous l'autorité d"une administration centralisée, tentaculaire (l'allusion du titre) dont les rouages létaux apparaissent rapidement Des personnages y affrontent le monde et ses vissicitudes, l'injustice comme une deuxième nature. Leviathan aborde aussi les grandes questions existentielles via le genre (toute la deuxième partie, la mort, le fil. policier, la dénonciation la reconstitution, les conséquences sur la vie en morceaux de tous les personnages) alors que Winter Sleep malgré tout l'intérêt philosophique et sociologique qu'il présente en reste au pensum bavard et huis-clos sur les difficultés inaliénables du couple ou de la cellule familiale, le tout à travers le regard d'un homme embourgeoisé et perdu dans un projet littéraires autour du théâtre Turque !!! Bref, absolument rien à voir. Ici c'est bien le cinéma , le vrai , total, à l'état brut qui vous saisit à la gorge comme les goulées de Vodka dans le gosier de personnages en sidération devant les coups durs, les vents contraires, mais tenant debout coûte que coûte en essayant modestement de préserver ce qui peut encore l'être de ce qui subsiste en eux de dignité humaine...