Qu'est-il arrivé à Andrei Zviagintsev ? Après avoir incarné haut la main la relève de Tarkovski et la permanence d'un certain cinéma russe mythologique, ample et visuellement époustouflant, il est passé à autre chose. Malgré son titre biblique, "Léviathan" est un morne portrait de la Russie actuelle et de sa déréliction : vodka, corruption, retour aux fondamentaux de l'église orthodoxe... On ne croit plus en rien, on se bourre la gueule, et les pires voyous gagnent toujours à la fin, poussant le vice jusqu'à donner à leurs actes des apparences de légalité. Tout cela est très laborieux. L'intrigue se traine, oscillant constamment entre vaudeville et drame sans réellement choisir, comme si c'était le postulat du cinéaste de vouloir imposer ce constant déséquilibre improductif. Les personnages englués dans ce psychodrame sont ectoplasmiques, on peine à s'attacher à leur sort funeste, à la banalité de leur médiocrité. Tout ça manque d'ampleur, d'universalité, d'ambition. Esthétiquement, mis à part quelques beaux plans des bords dévastés de la mer de Barents (où coula le Koursk en 2000), le réalisateur semble avoir définitivement renoncé à sa virtuosité pour nous infliger des tunnels de dialogues naturalistes en champ/contrechamp qui m'ont rappelé le récent et tout aussi bourratif "Mère et fils" du roumain Calin Peter Netzer. Comme pour symboliser cette descente en gamme, le récit est encadré par deux séquences de tribunal durant lesquelles une femme procureur lit in extenso les attendus de ses décisions, avec un débit stupéfiant, style mitraillette lourde : c'est drôle 30 secondes, ça devient vite fastidieux, fatigant, complaisant et surtout stérile. Ça ne produit pas de cinéma. Comparé au récent et inégal "Post Tenebras Lux" de Carlos Reygadas - qui boxe dans la même catégorie que Zviagintsev première manière, "Leviathan" ne fait pas le poids. Reygadas continue d'essayer de produire ce cinéma total (inoubliable première séquence avec la petite fille au milieu des vaches), d'innover, de déconstruire les règles de son récit et de le truffer de "visions", là où Zviagintsev semble vouloir rentrer dans le rang d'un cinéma d'auteur strictement narratif, engagé, mais de seconde zone. Énorme déception donc, mais après tout il fait ce qu'il veut, ou ce qu'il peut, et a peut-être déjà donné son meilleur.