Je me suis souvent surpris en quittant le cinéma après un excellent film, à me sentir blasé, voire triste de laisser dans la salle un univers et des héros avec lesquels j'avais fait corps un moment.
En sortant de Paterson, je souriais. Je souriais car je savais que cette histoire ne me quitterait plus.
Enfin, je ne suis pas certain que ce film raconte une histoire, il nous donne l'occasion de suivre une semaine durant, la vie d'un jeune couple, et plus particulièrement celle du mari, Paterson, chauffeur de bus dans la ville de du même nom.
En 1999, Jarmusch, aidé par Ghost Dog, nous baladait déjà dans le New Jersey au rythme des extraits du "Hagakure", le guide des samouraï. Le principe est un peu le même dans Paterson, à l'exception que cette fois, ce serait plutôt le film en lui même qui se comprendrait comme "un guide", un "Way of ...".
Car Paterson ne raconte rien, il expose et contemple, au point qu'on pourrait voir ce film comme un monument de prétention. Mais au contraire, comme souvent, tout est question de nuances. Notre héros, bien que taiseux et détaché, n'est pourtant jamais avare de compliment et de sourire . Laura, sa femme, en apparence légère, se pose en fait comme l'indispensable pendant fougueux de son compagnon. Comme on les voit sur l'affiche, ils ne sont pas vraiment dissociables bien qu'absolument différents, comme le dit si justement Paterson en parlant de Laura : "Elle me comprend très bien". Et cela se ressent parfaitement.
Ce regard que porte Jarmusch sur la vie de couple, comme une espèce d'harmonie mystérieuse, de dépassement des contrastes par le sentiment amoureux, est d'une grande beauté. Une vision qui d'ailleurs est assez différente de celle qu'il avait eu du couple de vampire de "Only lovers left alive", que leur élitisme commun semblait rassembler.
Un autre point fort du film est évidemment le traitement de la poésie, et plus généralement de la pratique artistique. La poésie de Paterson traite du quotidien car elle est pour lui le moyen d'en capter tous les recoins, les détails, le liant. D'en percevoir la beauté omniprésente. Comme l'a très bien souligné la critique des Cahiers du Cinéma, Jarmusch traite ici avec brio la question de l'accomplissement personnel par l'art. Car oui, Laura et Paterson sont heureux, tout en menant une vie sans prétention, et même si l'idée pourrait paraître saugrenue par les temps qui courent, le film la rend bien réelle.
J'invite vraiment les amateurs de cinéma à voir ce film, rien que pour les avis si différents qu'il a fait naître (à lire les critiques, on voit bien que le film cristallise très bien les divergences de point vue sur la question du bonheur, de la routine...). Il y aurait évidemment encore énormément beaucoup de choses à dire, sur le jeu des acteurs (Driver et Farahani, semblent après coup, des choix évidents tant ils investissent leurs rôles avec naturel, on les sent heureux de jouer), la qualité (une fois de plus) de la réalisation de Jarmusch, l'humour fin et les références croustillantes. Personnellement, jamais un film ne m'avait autant marqué, et j'y repense presque tout les jours. Alors après "Ghost Dog : The Way of Samurai ", Paterson : "The Way of Happiness" ? Le film aura au moins le mérite de nous indiquer là où chercher...