« Paterson » fut auréolé à Cannes de la prestigieuse et convoité Palme dog, décerné au bulldog Marvin. Outre cela, « Paterson » fut complément oublié dans le palmarès qui sacra le social et engagé « Moi Daniel Blake » de Ken Loach. Ainsi, le film de Jim Jarmusch rejoint les le cercle des films oubliés à Cannes, constitués de « Julieta » (Almodovar), de « Elle » (Verhoeven) et de « Mademoiselle » (Park Chan-wook). Quel est le point commun entre ces quatre films ? De faire abstraction des problèmes contemporains, en refusant le statut de film social. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils ne reçurent pas de prix : la qualité n'entre pas toujours en jeu à Cannes où, hélas, le politique prime. Mais là où « Elle », « Julieta » et « Mademoiselle » sont des films avec moult péripéties « Paterson » surprend par ce qu'il dépeint : la vie quotidienne d'un couple, rien de plus.
« Paterson », c'est une semaine parmi tant d'autres dans la vie d'un chauffeur de bus, Paterson (Adam Driver) et qui vit dans une ville se nommant Paterson (oui, cela fait bien deux Paterson). Ne pas s'attendre à une quelconque action, c'est la vie quotidienne de cette personne que montre Jarmusch. Donc, comme tout le monde, Paterson se lève tôt pour aller travailler, revient l'après-midi où il est accueilli par sa femme, Laura (Golshifteh Farahani), va promener son chien pour terminer sa soirée dans un bar. Mais Paterson est aussi poète et, pendant ses pauses déjeuners, écrit des poèmes. Tout cela, il convient de le multiplier par sept pour comprendre ce qu'est vraiment l'ossature du film (enfin plutôt par cinq, vu qu' il y a le week-end). La vie de tous les jours au cinéma ? Pourquoi pas à condition de ne pas délivrer une montagne d'ennuie. Et c'est précisément ce que ne fait pas « Paterson ».
En fait, « Paterson » repose sur un beau paradoxe : un film très original sur quelque chose de totalement banal. Qu'est-ce qui fait la beauté de ce film ? Probablement son charme. Ce qui est sûr, c'est qu'on ne sort pas inquiet de « Paterson » : loin des inquiétudes humaines liées au monde d'aujourd'hui, le film de Jarmusch est résolument optimiste en présentant des personnages attachants et sympathiques. A leur tête, Paterson, doux rêveur assez mutique, friand de poésie, et sa femme (Farahani, magnifique) nœud dynamique du film, pétillante et extraverti. La beauté de cette œuvre peut se diviser en trois éléments. Le premier réside dans la répétition de la vie.
Ici, cela peut se résumer à Paterson, qui, tous les soirs, remet en place sa boîte au lettre
. Ces répétitions sont d'autant plus belles qu'elles s'accompagnent du deuxième élément, à savoir les variations de la vie.
Là, c'est une panne de bus imprévue, c'est l'irruption inattendue d'un flingue (inoffensif certes) dans le bar et surtout les différents rêves de Laura, la femme de Paterson
. On s'amuse, comme avec les jeux des sept différences, à relever les petits changements, les petites variantes de la vie (pas si quotidienne que ça, finalement). Mais je crois que montrer la vie de tous les jours n'a, pour un cinéaste, pas grand intérêt. A quoi sert d'aller au cinéma pour voir quelque chose que l'on vit quotidiennement ? C'est alors qu'intervient le troisième élément, le plus fondamental : on pourrait le qualifier de « dépassement de la vie ». Cet élément-là, seul le cinéma peut le réaliser. De quoi s'agit-il ? Il s'agit, grâce à la mis-en-scène, de donner au film une nouvelle dimension, un ton que l'on ne peut trouver dans la simple vie. Jarmusch parvient en filmant cette ville à insuffler à l'ensemble du film un ton presque lyrique. Nul doute que les poèmes écrits (et présents sur l'écran) participent à la grandeur du film. Le fait que le film soit totalement dénué d'allusion politique montre bien qu'il n'est pas que question de réalisme et de réalité. Rare sont les réalisateurs a pouvoir atteindre cette osmose entre vie quotidienne et rêves, comme le fait par exemple Hou Hsiao-hsien.
Ce n'est donc pas que la vie de tous les jours que montre Jarmusch. La lenteur, la manière de filmer Paterson (ville et personnage) fait accéder le film dans une nouvelle dimension, qu'on pourrait qualifier de quotidien rêvé. Un film à voir (et Farahani est vraiment belle !).