Autant j'adore Jim Jarmusch quand il met son univers au service d'un propos intéressant, autant j'ai un peu plus de mal avec ses films à sketches. Pourtant son concept avec Paterson avait de quoi me séduire - une semaine dans la vie de Paterson à Paterson - mais le format le voulant, comme pour Night on Earth j'ai trouvé ça fortement inégal et globalement longuet à bien des égards.
J'entends la proposition de cinéma originale qui ne compte pas se baser sur une histoire centrale et préfère nous immerger dans la vie d'une personne l'espace d'une semaine, entre sa vie de couple, son métier, ses rencontres au bar, son chien et ses poèmes. L'espace d'un temps, lors de la journée du lundi, j'ai même totalement été happé par ce personnage. Mais je pense surtout que c'était la découverte qui faisait le charme, ce après quoi la répétitivité se transforme rapidement en lassitude à mesure que les jours défilent et que le renouvellement se fait rare.
Cette constance dans le ton, entre la drôlerie et la mélancolie, instaure une redondance un peu balourde. À vrai dire le film ne m'a séduit que partiellement, lorsque les petits hasards de la vie, heureux comme malencontreux, donnent davantage de relief à la vie de Paterson.
Puissent-ils être une rencontre avec une jeune poète, une sempiternelle scène de rupture au bar, une sortie au cinéma et le malheur de retrouver son carnet secret dévoré par le chien en rentrant, ces petites variations qui ne payent pas de mine donnent néanmoins plus d'épaisseur au récit car dans un film qui se veut aussi naturaliste la moindre fluctuation dans la routine du héros se repère et marque.
L'intérêt de Paterson est sa manière de dépeindre toute une vie en sept jours, nous mettant dans les bottes de quelqu'un d'autre. Si en soi je ne suis pas contre ce genre de démarche très réaliste j'ai du mal quand c'est une fin en soi, sans réellement développer autour, et c'est là que le film a attisé mon ennui. Oui, on comprend que Paterson est quelqu'un d'autosuffisant, un peu isolé qui garde ses écrits pour soi et qui préfère observer la vie autour de soi. Mais au bout d'un moment la mécanique s'épuise et je ne demandais qu'à rebondir sur un second souffle qui ne surviendra que dans ses deux derniers chapitres.
Mais bon, il y avait quand même quelques petites choses auxquelles je me raccrochais. Laura, la compagne de Paterson, est typiquement le genre de personnage que j'adore dans les films naturalistes. Éternelle rêveuse, des ambitions plein la tête, très supportrice envers son amant et surtout immensément amoureuse, les moments de tendresse partagés avec elle sont des plus réjouissants.
Le plus parlant pour moi a été la sortie au cinéma, alors que le couple se tient la main pendant la projection. Le reflet de l'écran sur les yeux de Laura fait presque ressortir des larmes que l'on soupçonne être de joie.
C'est en cela que parfois Paterson m'emporte gentiment, par son couple attachant et des moments d'humanités au détour du bar, d'un groupe de jeunes dans une voiture qui s'arrêtent pour lui dire de prendre soin de son chien, Paterson est une ville qui se meurt mais dont les habitants vivent comme dans une utopie. On prend du plaisir à écouter une conversation anodine dans le bus, à entendre Paterson lire ses poèmes en pleine confection, le film touche par moments à la quintessence de notre existence.
Mon regret avec Paterson est que pour autant que je puisse lui trouver des qualités et disserter dessus pendant encore un petit bout de temps, ce ne serait qu'évoquer les instants de vie qui m'ont réellement marqué et non tout le reste qui s'est très vite fait oublié en moi. Car il y a de sacrés bons moments (susmentionnés) dans ce film, mais c'est surtout à côté des banalités sans réel intérêt à part nous faire vivre une vie de conducteur de bus indépendant bien peu excitante. Les scènes de composition de poèmes deviennent elles aussi lassantes arrivé à un stade, alors que c'est ce qui me séduisait dans ses premiers pas !
On pourrait énumérer les qualités habituelles du cinéma de Jim Jarmusch, le cadrage, l'esthétique soignée beaucoup plus naturelle que son précédent Only Lovers Left Alive incroyablement abouti sur ce domaine, ce goût pour les petites choses, mais ça n'accroche pas avec moi pour des raisons de rythme et d'inégalité. C'est cependant intéressant de voir ce que les autres sont allés piochés, ce qui les ont plus marqués que nous, car l'air de rien c'est un film riche qui propose beaucoup de contenu pour sa durée moyenne. Même moi j'ai approché la grâce vers la fin.
La conversation avec le poète japonais et la phrase "Lire un poème traduit c'est comme prendre une douche avec un imperméable" qui est valable pour bien des choses, et le retour aux fondamentaux avec la transmission d'un nouveau carnet, c'est honnêtement une très belle conclusion toute en douceur qui donne une nouvelle chance à Paterson. Cette fois, on espère vraiment fort qu'il va photocopier ses poèmes et aller de l'avant. Cette note d'espoir m'a laissé dans un état assez conquis.
Dans sa finalité, il y a beaucoup de choses à dire à propos de Paterson, à tel point que ma note de 6/10 peut sembler trompeuse. Ce n'est pas le résultat d'un film correct au mieux mais l'équation d'instants de vie plus passionnants que d'autres. C'est un beau film, avec un couple très attachant et une atmosphère de réjouissance convaincante, mais ça n'excuse pas l'ennui qui m'a été partiellement infligé. C'est frustrant, mais c'est le propre des films à sketches.