Présenté en séance spéciale lors du dernier Festival de Cannes, "Une histoire de fou" réunit presque tous les « marqueurs » du cinéma de Robert Guédiguian : Marseille, le sort des Arméniens, l’histoire et la politique. Depuis longtemps déjà, Robert Guédiguian envisageait de réaliser un film sur le génocide arménien et ses conséquences, à l’occasion du centenaire de ce massacre qui a fait 1.3 millions de victimes. Restait à trouver la façon d’aborder le récit. C’est une rencontre avec le journaliste espagnol José Gurriaran qui lui a apporté la solution : le 29 décembre 1980, Gurriaran a été gravement blessé par une bombe posée par l’ASALA, l’Armée secrète arménienne de libération de l’Arménie. Lui qui ne savait rien sur le génocide arménien a cherché à comprendre, a décidé de rencontrer les responsables de l’attentat et est devenu un fervent militant de la reconnaissance du génocide arménien. Dans l’écriture de leur scénario, Robert Guédiguian et Gilles Taurand se sont donc librement inspiré du livre « La bombe », livre dans lequel José Gurriaran raconte son histoire. Avant de nous entraîner, sous forme de fiction, dans les actions violentes perpétrées dans les années 80 par des Arméniens de la Diaspora, Robert Guédiguian a eu l’excellente idée de proposer aux spectateurs un prologue qui raconte une histoire véridique, celle de Soghomon Tehlirian, un survivant du génocide arménien qui, à Berlin, le 15 mars 1921, tua d’une balle de revolver Talaat Pacha, principal responsable du génocide arménien. Cet homme d’état ottoman avait fui son pays en 1918 pour s’établir en Allemagne. Condamné à mort par contumace en 1919 par la cour martiale turque, ayant trouvé refuge dans un pays qui refusait de l’extrader, Tallat Pacha était dans le collimateur de l’opération Némésis, menée pour exécuter les responsables du génocide arménien. Lors du procès de Soghomon Tehlirian, ce dernier et ses avocats n’ont jamais cessé de revendiquer l’action et la préméditation, ce qui n’a pas empêché le Jury populaire de déclarer l’accusé non coupable. Ce prologue, Guédiguian l’a tourné dans un très beau Noir et Blanc et Robinson Stévenin, qui interprète le rôle de Soghomon Tehlirian, s’y montre particulièrement à son avantage. Il permet de mettre en perspective des événements mettant en scène des survivants du génocide face à des responsables de ce génocide avec ce qui s’est passé 60 ans plus tard, avec les actions terroristes de l’Armée secrète arménienne de libération de l’Arménie, l’ASALA : des actions menées par des descendants de survivants contre des cibles turques, personnalités ou intérêts économiques, dans le but de pousser à la reconnaissance du génocide arménien par la Turquie, directement ou par la pression du plus grand nombre d’autres pays. Dans un film qui va au plus profond des consciences en s’interrogeant sur la justice, sur la vengeance, sur le pardon et sur la mémoire, Robert Guédiguian prouve, une fois de plus, qu’il est un des plus grands réalisateurs de notre époque, tant au niveau de la forme, de plus en plus aboutie de film en film, que du fond, toujours aussi humaniste sans jamais être mièvre.