Avec Guédiguian, une chose est sûre : on reçoit une bonne dose d'humanisme et de combativité à chacun de ses films. Celui-là n'échappe pas à la règle. Tout d'abord ce scandale, cette injustice du négationnisme officiel turc du génocide arménien. La première partie remarquable évoque l'assassinat de Talaat Pacha, un des responsables du génocide et le procès de son assassin, acquitté par un jury bouleversé d'apprendre une réalité qu'il ignorait et qui dans un même élan aurait voulu condamner la participation de l'Allemagne à l'horreur programmée. Nous sommes ensuite immergés dans une famille arménienne, dont l'aïeule vit dans l'obsession des massacres et la haine des massacreurs. Le personnage central est le jeune Aram qui reproche à ses parents leur manque d'engagement pour la cause arménienne et qui par idéal et par soif de justice entre dans la lutte armée avec l'Asala, mouvement qui lutte pour la reconnaissance du génocide et pour la récupération des terres dont les Arméniens ont été spoliés. On ne peut s'empêcher de faire un rapprochement, fortement suggéré d'ailleurs, avec les Palestiniens (à la différence près qu'ils n'ont pas été comme les Arméniens victimes d'un génocide qui les aurait mis à la mer et aurait réglé le problème à la manière turque!) Guédiguian ne porte pas de jugement: il interroge. Il reprend le vieux débat des "Mains sales". Une cause aussi juste fût-elle, peut-elle tuer des innocents, victimes "collatérales" d'attentats ciblés ? Aram quand il appuie sur le détonateur qui doit faire sauter la voiture de l'ambassadeur deTurquie à Paris, a vu qu'un jeune homme de son âge passait par là. C'est alors que le film, respectant chacun des protagonistes, prend une autre dimension. Le terroriste et sa victime sont conduits à s'interroger. L'un et l'autre finiront par se rencontrer. L'un et l'autre feront un chemin qui les rapprochera. C'est cette tension qui parcourt le film, cette rencontre impossible et pourtant vitale qui doit permettre aux deux hommes de se regarder dans les yeux. L'un, amputé de se jambes, plein de haine et de rage comme l'aïeule qui avait survécu au génocide, et l'autre assuré de la justesse de sa cause mais désireux de lui donner une autre orientation, en abandonnant la violence aveugle. La grande qualité de ce film est de nous faire comprendre l'un et l'autre, de faire émerger en chacun la plus profonde humanité, celle qui relie les hommes. Alors peu importe que l'on trouve à ce film quelques longueurs, quelques maladresses, quelques défauts... Il donne une grande leçon de vie sans tomber dans la facilité et l'angélisme. La fin n'est pas optimiste et pourtant ce qui domine, comme le mont Ararat en "Arménie occupée" c'est la tendresse douloureuse qui unit les membres de la famille d'Aram, c'est ce père qui retrouve les pas d'une danse venue de la nuit des temps arméniens pour danser devant la photo de son fils, c'est cette mère endormie et son fis qui la trouve si belle qu'il pose sa tête contre son ventre, comme un petit enfant qui n'aspire qu'à l'amour... comme n'aspiraient qu'à l'amour tous les enfants fracassés par les massacreurs dont des rues et des places d'Istamboul portent aujourd'hui le nom.