On aime Robert Guédiguian! Même si on ne souscrit pas à tous ses engagements politiques, on l'aime parce qu'il a foi dans les vertus civilisatrices du cinéma, qu'il croit en l'humanité, au pacifisme, tout ça tout ça.... Un petit côté fossile par ces temps où il est de bon ton de ricaner.
On ne s'étonne que d'une chose: qu'il n'ait pas encore parlé du génocide arménien. En y associant son pote Simon Abkarian, évidemment!
On ne va pas dire que ce film est sans défauts. Il y a une telle volonté chez Guédiguian d'être à la fois grand public et didactique, pour toucher le plus possible de spectateurs, que ces deux volontés mises ensemble conduisent à un résultat un peu indigeste. Et puis, même si on aime beaucoup Ariane Ascaride, elle a tendance à s'enfermer facilement dans son personnage de mère courage...
Ces réserves une fois faites, c'est un film passionnant à la fois par le monde qu'il nous fait découvrir et les vraies questions qu'il aborde de front. L'œuvre commence par un paragraphe strictement historique en noir et blanc. Les tribunaux turcs ont condamné à mort un certain nombre de responsables du génocide arménien. Mais ceux ci ont disparus, réfugiés en particulier en Allemagne qui se montrait particulièrement accueillante pour les génocidaires... (Vous savez que le génocide arménien est considéré par certains comme une répétition générale avant les camps nazis?) La Fédération Révolutionnaire Arménienne (FRA) lance en 1920 l'opération Némésis pour exécuter ces condamnations. Un de ces membres, Soghomon Tehlirian (Robinson Stévenin) exécute l'ancien ministre de l'intérieur puis Grand Vizir de l'Empire Ottoman, Talaat Pacha, celui qui donna l'ordre de tuer tous les hommes, femmes et enfants arméniens sans exception, en pleine rue, à Berlin, le 15 mars 1921. Son procès a lieu très vite et, de façon stupéfiante, il est acquitté, après avoir pu exposer et populariser l'horreur du génocide. Ma foi, rappeler au public français ce qu'a été cette première grande honte de l'humanité moderne, ce n'est peut être pas inutile;
On passe ensuite par la partie romancée qui se situe dans les années 75 /80 où la FRA développe une action terroriste beaucoup plus violente (suivant les orientations du Dachnak marxiste), beaucoup moins ciblée sans se soucier des victimes collatérales lors des attentats dirigés vers les diplomates turcs, et cela dans le but de libérer les terres arméniennes occupées par la Turquie. Les ambassadeurs de Turquie à Vienne, à Paris, y passent; des attentats ont lieu à l'aéroport et à la gare d'Istanbul. Plus tard ils assassineront les consuls généraux à Los Angeles et Boston.... on le voit, et on l'a sans doute oublié, les gentils arméniens n'ont pas toujours été des agneaux...
Voila le point de départ... pour ceux qui ne seraient pas trop familiers avec cet aspect de l'histoire contemporaine.
Hovannes et Anouch (Simon et Ariane donc!) vivent, quant à eux, paisiblement à Marseille où ils tiennent une épicerie orientale fréquentés par tous les arméniens du quartier. Pour Hovannes, les choses sont très claires: il a tourné le dos au passé, il veut faire sa vie à Marseille et y élever bien ses enfants. l'Arménie c'est fini. Mais il y a, avec aux, la mère d'Anouch, Arsinée (Siro Vazilian) qui n'a rien oublié (elle a vécu de terribles moments, violée, etc...), qui berce ses petits enfants de chants patriotiques glorifiant en particulier le héros Tehlirian, qui veut revoir son village natal -au minimum, que ses cendres y reposent... Les enfants sont sensibles aux récits de leur pittoresque grand mère. Surtout l'ainé, Aram (Syrus Shahidi) est, comme les autres jeunes arméniens du quartier, à l'écoute des thèses du FRA.
Les Arméniens ont fait poser une stèle devant leur église, rappelant le massacre, sur un terrain privé mais visible de la rue; cela déplait aux Turcs, et les autorités politiques françaises viennent leur intimer de la faire disparaitre. Bizarre comme les autorités françaises font depuis toujours des pieds et des mains pour plaire aux Turcs..... La goutte qui fait déborder le vase: en pleine cérémonie commémorative, les flics interrompent la messe et font sortir de force l'assistance. C'en est trop pour Aram et son ami Vahé (Amir Abou El Kassem). Aram part rejoindre le FRA. Son premier attentat: la voiture de l'ambassadeur est bloquée. Mais au moment de faire sauter la bombe, se présente un jeune cycliste qui se place à côté de la voiture diplomatique. Aram appuie quand même sur le détonateur. Gilles (Grégoire Leprince-Ringuet), brillant étudiant en médecine, est très gravement blessé. Sans doute ne remarchera t-il plus jamais. Et surtout, il est plein de rage et de haine envers ceux qui ont brisé sa vie.
A partir de ce qui est maintenant le point de départ du drame va se dérouler tout une histoire assez abracadabrantesque (l'histoire d'amour d'Aram avec une belle guérilléra était elle vraiment nécessaire.... bof, bof...), qui nous ramène tantôt avec Gilles, tantôt avec Aram dans les maquis libanais où le FRA commence à se déchirer . Le chef prône toujours plus de violence, la seule façon de faire parler de la cause; certains commencent à refuser les assassinats non ciblés, qui font parler de la cause.... mais en mal. Bon, vous pouvez imaginer tous les grands débats, jusqu'où peut on aller pour faire triompher une juste cause? que Guédiguian décline d'une façon un peu scolaire. Débats aussi entre Hovannes, pour qui son fils doit rentrer et se dénoncer, point, et Anoush. Mais rassurez vous, ça ne va pas jusqu'à la rupture. Ils s'aiment. On est chez Guediguian, quand même....
Apres moultes péripéties, on terminera sur une sorte de vraie-fausse happy end. On est chez Guediguian, quand même, qui croit à la bonté de l'humanité.
C'est un film à voir, en étant conscient de ses défauts, parce que c'est une leçon d'histoire, et surtout, un film profondément intelligent et humaniste, qui brasse de grandes notions sur le pardon, sur l'appréhension et la compréhension de l'Autre... Comme pour Je suis un soldat, quand au lieu de nous raconter des petites histoires de coucheries crapuleuses, un film français nous parle d'un vrai, réel problème de société, on est preneurs! Et comment!