S’il est une preuve de l’injuste traitement accordé aux films plus récents de Robert Zemeckis, ce sont bien les retours frileux reçus par « Alliés », sorti en 2016. Sur le papier, tout devrait conduire à une réussite financière : un réalisateur culte, deux des acteurs les plus glamours et bankables actuellement (Brad Pitt et Marion Cotillard), le tout sur fond de thriller romantique tel qu’Hitchcock aurait adoré mettre en scène. Au final, un four au box-office (120 millions de recettes pour un budget de 85, sans frais marketing) et une critique mitigée. Et pourtant, Zemeckis y livre comme toujours du divertissement de qualité à la profondeur narrative exemplaire.
Forcés de collaborer pour éliminer un membre éminent du régime nazi, une espionne française et son homologue canadien tombent amoureux. Mais est-elle vraiment la personne qu’elle prétend ?
Tout est ici question de faux semblants, un jeu d’apparence qui passe d’abord par la gestion des acteurs. Leur esthétisation rappelle un cinéma d’antan, où les interprètes semblaient éternellement figés sur pellicule. Zemeckis arrive à rappeler cette sensation tout en donnant corps à ses héros. Il semble ainsi que jamais Brad Pitt et Marion Cotillard n’ont été autant sublimés par la caméra auparavant. Leurs sentiments se voient exacerbés par sa mise en scène, que ce soit une scène de sexe durant une tempête de sable portée par des traveling circulaires au plus proche des corps transformant le tout en sommet de sensualité ou un accouchement qui se fait sous les bombes, les explosions poussant à affirmer son identité.
L’identité est d’ailleurs le cœur central du récit au vu de la situation. Au vu de la paranoïa ambiante, comment peut-on être soi-même ? Ce questionnement sur un faux semblant permanent plairait à un Brian de Palma, et par extension à Alfred Hitchcock, dont l’aspect identitaire était central à ses productions (notamment au quotidien, dans le parfait « Fenêtre sur cour »). La tension apparente de la situation pousse chacun à mesurer le moindre de ses gestes, le moindre de ses mots. On pourrait en cela voir dans ce film une allégorie du métier d’acteur, dont la maîtrise permanente et millimétrée de ses mouvements est souvent d’une discrétion telle qu’elle n’en est que plus efficace. La symbolique du miroir rentre également dans cette analyse tant l’objet est omniprésent.
SPOILERS C’est d’ailleurs lorsque les personnages peuvent s’aimer à Londres que l’on représente des morceaux de verre brisé, annonciateurs des malheurs à venir… FIN DES SPOILERS.
« Alliés » est donc une réussite aussi remarquable que son échec est injuste. Zemeckis y livre un pur film rétro à la tension permanente et au casting impeccable, le tout avec la même virtuosité visuelle qui en fait un réalisateur essentiel, même avec ses derniers titres mal-aimés par le box-office. Il n’est pourtant pas interdit de voir dans ce récit d’espionnage, entre « Casablanca » et Hitchcock, un grand film tel qu’Hollywood a du mal à en créer actuellement. Ou quand la romance tourmentée marque durablement la pellicule, à défaut d’un public aux goûts assez variables…