Comme quoi, il faut savoir rester fidèle à ses auteurs fétiches, parce que sinon, on risque de passer à côtés de sacrés jolis films… En tout cas, moi, c’est ce que je me suis dit en sortant de cet « Alliés », tellement j’ai été ravi de ce que j’ai vu. Parce que oui, j’insiste encore pour le dire mais, pour moi, cet « Alliés », il est quand même sacrément joli. Juste le plan d’intro a suffi pour me conquérir, c’est dire ! Et c’est là que ça m’a fait plaisir de me dire que je regardais un film de Robert Zemeckis. Avec cet auteur-là, j’avais la quasi-garantie que le reste du film allait être du même acabit. Or, il se trouve que ce fut le cas ! En ce sens, qu’il est bon de ne pas être surpris sur ces choses-là… Et pourtant, j’ai failli ne pas aller voir ce film… Il faut dire que, depuis l’entrée dans les années 2000, les films de Robert Zemeckis n’avaient su être pour moi que d’énormes sources de désillusion. Mais ce n’était pas vraiment sa mise en scène qui me posait problème (je trouve notamment que ses derniers « Flight » et « The Walk » très bons sur ce plan-là), c’est juste que ne me je reconnaissais plus du tout dans les sujets abordés, les propos tenus et les angles choisis. La bigoterie, la rédemption divine (« Flight ») ou bien encore la sacralisation des symboles patriotiques (« The Walk »), surtout quand c’est fait avec de la grosse nostalgie bien visqueuse, c’est juste des choses qui ne me parlent pas. Pire, ce sont des choses qui ont tendance à me hérisser le poil. Alors – vous pensez bien ! – quand j’ai vu que cet « Alliés » se posait comme une sorte de fresque classique mettant en avant ces héros de l’ombre de la Seconde guerre mondiale, le tout dans une atmosphère très vintage assumée, je me suis dit que j’allais cumuler là tout ce que je n’aime pas dans l’univers de Zemeckis… Et pourtant, au final, c’est l’inverse qui s’est produit. Bon alors après, j’ai envie de dire que ce n’est pas une surprise en ce qui concerne le début. Tous les débuts de film de Zemeckis m’ont toujours plus. Comme quoi c’est vraiment le développement des propos et des intrigues qui m’ont toujours posé souci (quand c’était le cas), car la mise-en-scène à pour moi toujours été au top. Je vous parlais plus haut du seul plan d’introduction du film que j’ai trouvé magnifique de composition, à la fois dans son aspect esthétique, comme dans sa manière de nous faire entrer dans l’intrigue. Eh bien pour le coup, tout le reste du film est dans cette veine là. C’est toujours beau et remarquablement soigné. Tous les plans transpirent de l’époque, de l’atmosphère, de l’intrigue. Chaque plan dit quelque-chose ou, du moins, contribue à participer à cet édifice très cohérent qu’est cet univers. Donc déjà, on partait sur de très bonnes bases, mais ce qui a fait clairement la différence me concernant fut la manière de traiter cette intrigue. Moi, personnellement, je ne suis pas forcément fan des romances à l’ancienne en mode « notre amour sera plus fort que la guerre / la mort / l’adversité / Adolf Hitler / etc… (choisir la mention désirée) et j’avais peur d’avoir deux heures d’eau-de-rose imbuvables et sans véritable péripétie intéressante. Et c’est sur ce point-là que, me concernant, ce film a su faire avoir l’intelligence d’éviter l’écueil tant prévisible. A ma grande surprise, j’ai très vite adhéré à la relation Pitt / Cotillard. Il faut dire les dialogues sont très bien écrits ; ils savent habilement porter les traits saillants des personnages ; suggérer les points d’ambiguité de la relation actuelle et future ; suggérant même de multiples fourches par laquelle la relation pourrait cheminer. C’est malin, très efficace, très bien rythmé, et la mise en scène de Zemeckis porte tout cela comme s’il s’agissait d’un petit coussin de velours. Ça sait cuter quand il faut ; rajouter un petit effet dramatique au bon moment ; jouer de la sobriété ou de la petite musique au bon moment… Ah ça non vraiment un régal… Je craignais juste le moment où ça allait retomber ; où ça risquait de devenir redondant… Et, si ce moment à quand même fini par venir (bah oui, sinon vous vous doutez bien que je serais allé au-delà de « 3 étoiles » !), la belle surprise de cet « Alliés » c’est que ce moment est arrivé super tard… Et quand je dis super tard, c’est en gros la dernière demi-heure ! En gros, ça veut donc dire que moi, j’ai eu mes petites étoiles dans les yeux pendant 1h30 ce qui est déjà une belle prouesse. Et ça, si je l’ai eu, c’est donc parce que ce coup-ci, au-delà de la maitrise formelle, il y avait un propos et une démarche que j’ai trouvé très intéressante et qui m’a beaucoup parlé. Certes, cette démarche qui consiste à vouloir mettre à l’honneur le rôle des « alliés » dans une Seconde guerre mondiale que le cinéma américain a toujours eu tendance à américanocentrer, ça pouvait très vite se transformer en hagiographie pleine de bien-pensance politique qui m’aurait vite dégoûté. Mais là, le triple bon coup du film c’est d’une part d’avoir su transformer l’idée du « d’autres ont aussi combattu » en un « on a aussi combattu ailleurs ». Commencer dans les colonies françaises, puis ensuite bifurquer vers
la Londres du Blitz
, pour enfin faire une escapade dans
la France métropolitaine occupée
, je trouve que ça offre vraiment un univers nouveau de la Seconde guerre mondiale ; un univers du quotidien plus que du champ de bataille, et ça je trouve que c’est vraiment agréable. D’autre part, ce triple bon coup ça a été aussi d’oser insérer de l’ambiguïté dans les positions de chacun. (
La Française passe de résistante à collabo, puis à simple otage de la guerre. La section V passe de bourreaux à sauveur, puis à nouveau à bourreaux.
) Et enfin, le troisième élément de ce triple bon coup, c’est celle d’avoir su poser cette Seconde guerre mondiale non comme une parenthèse martiale dans un quotidien de vie mis en suspend, mais comme un élément de confusion qui vient pénétrer un quotidien de vie. Voir comment cette histoire d’amour est parasitée par autant d’élément pour la transformer en tragédie, et de manière plus subtile qu’on aurait pu l’attendre au départ, je trouve ça vraiment très malin. Donc voilà, autant de qualités que j’ai su trouver dans ce film et que me mettent vraiment en joie ; qui m’enthousiasment beaucoup… mais qui pourtant n’entrainent chez moi qu’une note de « 3 étoiles. » Alors certes, j’aurais beau vous dire que, pour moi, une note de « 3 étoiles » est loin d’être une note indigente – surtout quand le maximum possible est 5 ! – il n’empêche que tout ce que j’ai écrit là ressemble beaucoup à la critique d’un film « 4 étoiles » au minimum… Le pire c’est que c’est certainement la note que je lui aurais attribué si le film ne s’était pas un peu emmêlé les pinceaux sur sa dernière demi-heure, pour ne pas dire ces trois-derniers quarts d’heure. Parce qu’autant l’écriture avait su être très maligne sur toute la première moitié, offrant de multiples pistes et (fausses-pistes) d’intrigue souvent très bien exploitées, autant je trouve que dans le dernier tiers, les choix du scénario sont beaucoup moins pertinents et ont le malheur de produire un petit effet accumulatif qui m’a un progressivement sorti du truc. D’une manière assez générale, tout ce qui m’a posé souci tourne autour de
la France. Déjà je trouve que tout ce qui tourne autour du message transmis au pilote Hunter pour prendre contact avec le résistant manchot tombe un peu à l’eau. Le courrier aurait pu tomber aux mains des Allemands, pouvant du coup pourrir les résultats de l’opération au « réactif bleu » mené sur Marianne ; Vattan aurait pu être arrêté / condamné pour sa trahison tandis que le doute sur Marianne aurait subsisté, mais au lieu de ça, on a juste eu une petite remontrance contre Vattan, rien de plus… Tout ça pour ça ? Au final je trouve que c’est faire prendre beaucoup de place à plein de détails pour qu’au final on n’en fasse pas grand-chose. Et ce reproche, je pourrais l’étendre à toute l’expédition menée par Vattan en France pour interroger le fameux manchot. Là, pour le coup, c’est un peu la crédibilité de l’intrigue qui, me concernant, en a pris un coup. J’entends que ce gars veuille savoir au plus vite si l’amour de sa vie est une espionne, mais je trouve que, pour le coup, il prend vraiment des risques absurdes et inconsidérés. Prendre le risque de voler un avion, de voler par gros temps, de manquer de se faire tuer vingt fois par l’ennemi sur place, d’exposer des maquisards en France… alors qu’il aurait suffi d’attendre 24h que le test révèle son verdict. Non, pour moi c’est trop, à la fois en termes de crédibilité, à la fois en temps consacré.
Et là, je problème, c’est que je pense que ce souci est lié au fait que Zemeckis ait absolument tenu à déplacer encore spatialement son intrigue pour offrir encore un visage nouveau à ces fameux « alliés » auxquels il veut rendre hommage. Le problème, c’est que là, l’artifice se voit. Et non seulement il se voit, nuisant du coup à l’immersion dans l’œuvre, mais en plus il occupe beaucoup de temps sur la fin de l’intrigue, obligeant à précipiter d’autres aspects de l’intrigue (
l’épuration du réseau allemand à Londres est torchée en cinq minutes tout de même !
), ce qui contribue à mon sens à déséquilibrer le rythme global du film. Et c’est vraiment bête, parce que, pour le coup, ces choix pris dans la dernière demi-heure m’ont fait aborder le final sans émotion, la voyant juste comme l’accomplissement d’un artifice scénaristique plutôt que comme une vraie tragédie émouvante. Donc voilà comment d’un film finalement très bien pensé et très bien réalisé j’en suis malgré tout arrivé à sortir de la séance sans cet élan d’enthousiasme qui caractérise pourtant d’habitude ces grands films qui m’enflamment. Mais bon, après ça ne retire rien à ce que j’ai dit auparavant. Pour moi « Alliés » est quand même un film qui a beaucoup à offrir malgré le fait qu’il s’ancre dans un genre très codifié et fort académique. Or, rien que pour cela, je pense qu’il vaut vraiment le détour même si l’impression d’avoir vu un grand film n’est pas assuré. Mais bon, après, ça reste à vous de voir.