Il y a 50 ans, Claude Lelouch tournait les dernières scènes d’un film d’exception, parfait à tous niveaux, qui allait lancer sa carrière, et accéder à un succès international, « Un homme et une femme ». Bien de ses films sont venus à la suite, quelques uns excellents, d’autres inégaux, voire pour certains carrément exaspérants… Mais Lelouch, pour qui le présent semble impatient, reste égal à lui-même et à son œuvre, non pas que l’homme se sente investi d’un quelconque plan de carrière (il est bien au dessus des vagues), simplement il s’attache depuis toutes ces années à réaliser les films qu’il aime voir, un peu comme s’il était dans sa bulle, toujours partant parfois juste un peu parti et moi je le suis !
Avec « Un une », c’était pour lui un challenge, un peu un autre film, une autre chance. L’itinéraire de Lelouch, véritable enfant gâté du 7ème art, avait pris, depuis quelques années, des chemins de traverse, et là, c’est la bonne année ! Ce n’est pas comme on peut lire ici ou là, une espèce de remake version 21ème siècle de « Un homme et une femme », non simplement, il signe une autre romance, une belle histoire, d’amour, qui tient peut-être du roman de gare comme le penseront certains, qui parle de la vie, l’amour, la mort… chacun son cinéma. Il nous offre une nouvelle aubade qui émeut, comme en son temps celle de Françoise et Henri dans « Un homme qui me plaît », de Françoise et Simon dans « La belle année », de Catherine et Robert de « Vivre pour vivre », de Catherine et Patrick dans « Si c’était à refaire » … Lelouch est un grand sentimental… et s’il conjugue l’amour avec des si, force est de reconnaître, d’un film à l’autre, qu’il sait y faire ! Qui mieux que lui focalise sur le remord amoureux (regret de ne s’être pas lancé ou l’inverse…) ? Qui mieux que lui choisit des endroits improbables pour faire évoluer ses couples ? Qui mieux que lui réussit à nous toucher avec tant de superficialité ? Lelouch sublime les poncifs et les lieux communs, les rendant délectables et attachants.
Antoine, compositeur de musique de film doit se rendre en Inde pour un tournage. C’est un adorable j’m’en foutiste, il cabriole, admire et condamne à tout va. Lors d’un dîner officiel, il rencontre Anna, femme de l’ambassadeur (non non ce n’est pas un pub Ferrero). Elle est minérale, végétale, animale. Une complicité foudroyante s’immisce entre eux. Ils ont pourtant leur passé pour guide et se doivent d’être lucides… Tant pis si cela va trop vite. C’est l’amour qui semble les inviter… Et par orgueil, ou par passion, un voyage en train remettra tout en question. Avec Lelouch, le cœur se prolonge et il absorbe bien des mensonges.
On ne peut plus simple comme scénario, et pourtant la magie opère ! Bien évidemment cela tient à Jean Dujardin incroyable de maturité, le visage expressif d’un Belmondo, une fermeté à la Ventura, et le même jeu de nuances qu’un Yanne… Il risque fort de surprendre dans les années à venir, débarrassé de ses atours de bogoss un poil prétentieux. Elsa Zylberstein quant à elle donne à son rôle une approche protéiforme, un peu comme si elle concentrait en elle les grandes héroïnes des précédents Lelouch, Aiméé, Fabian, Girardot, Deneuve, Marie Sophie L… Le choix était judicieux (ce qui me faisait craindre le pire au départ que je ne les aime ni l’une ni l’autre), ces deux acteurs se sont trouvés !
Alors bien sur, deux ou trois scènes sont ratées, trop longues (celles improvisées) ou simplette (déjeuner final), d’autres sont magnifiques et surprenantes (le Gange en gouttes d’or, les retrouvailles avec le père incarné par un grand seigneur des troisièmes rôles Venantino Venantini, la scène d’amour cadrée comme celle de « Un homme et une femme », la séquence de train, l’épilogue…). Mais le film se tient, et se tient bien, le plaisir à le découvrir, tout comme la tristesse de l’abandonner sont autant de signes que c’est un bon Lelouch, comme à la grande époque. Et s’il devait manquer quelque chose, ce serait sans doute une chanson, qui marque le film, la musique toujours aussi sensuelle de Lai y est, manque le verbe de Pierre Barouh dont j’ai abusivement pillé les mots pour illustrer ma critique… Oui c’est cela, il aurait fallu une ritournelle, celle quand on l’écoute, qui me ferait revoir avec bonheur toutes les images du film qui m’a emballé !
A 78 ans, le temps ne s’habille toujours pas de mystère pour Lelouch, on espère qu’il continuera longtemps encore à nous séduire dans un sourire… car après tout, qui filmera les mots d’amour qui font si bien du mal quand il ira décrocher toutes les étoiles ?