"Blood father" est un des très bonnes surprises de l’année et, quoi qu’il en soit, le film qui, je l’espère, marquera, enfin, la fin de la traversée du désert de Mel Gibson à Hollywood. L’acteur confirme, s’il en était encore besoin, qu’il est un interprète de génie et que les années n’ont, en rien, altéré son charisme animal. Mais, surtout, il se montre, ici, sous une facette inédite en se livrant corps et âme aux spectateurs, tel un passage public au purgatoire. Sa première apparition à l’écran,
par le biais d’un gros plan sur un visage usé par les années et les épreuves, suivi d’un travelling arrière révélant qu’il témoigne dans une réunion d’alcooliques anonymes
, est un véritable choc tant elle fait écho aux propres démons de Gibson lui-même. Hasard ou coïncidence, tout le film semble imprégné de cet écho méta à la vie et à la carrière de l’acteur,
des décors désertiques et autres duels sur route à la "Mad Max" à la caravane de Martin Riggs dans "L’arme Fatale", en passant par l’addiction à l’alcool et la violence du personnage (sans oublier l’évocation des nostalgiques du nazisme et les raccourcis sur les immigrés mexicains)
. En poussant un peu la logique, on peut même constater qu’il tient le rôle d’un tatoueur… c’est-à-dire le rôle qu’il aurait dû tenir dans "Very Bad Trip 2" avant d’être éjecté par l’équipe du film du fait de ses "soucis". Cette lecture méta donne au film une substance inattendue et transcende son statut de "survival movie" auquel il aurait été promis avec un autre acteur que le grand Mel. Il serait intéressant de savoir dans quelle mesure le scénario a été adapté à l’acteur (ne serait-ce que pour s’assurer qu’on extrapole pas un peu tout ce côté "méta") mais, en l’état, "Blood Father" ne peut pas se voir autrement que comme un magnifique exutoire et, accessoirement, comme la renaissance artistique d’un des plus grands acteurs US de ces 40 dernières années. Il peut, ainsi, remercier le réalisateur français Jean-François Richet qui lui a confectionné un écrin de tout premier ordre. En effet, le film a beau reposer, en grande partie sur la prestation de Mel Gibson, il serait injuste d’oublier l’autre artisan de sa grande réussite artistique en la personne du metteur en scène qui, dès le première scène
(qui voit une ado de 17 ans pouvant acheter des munitions sans problèmes mais qui doit présenter sa carte d’identité pour acheter des cigarettes !)
fait montre d’ambitions qui vont bien au-delà du simple "survival movie" annoncé. "Blood Father" raconte des choses sur son acteur star mais, aussi, sur l’Amérique actuelle et sur certaines valeurs. Le film peut, d’ailleurs, se targuer de traiter d’un sujet somme toute "classique" à Hollywood ("la famille c’est important") qu’il a su assécher des habituelles leçons de morale sans, pour autant, en altérer l’essence. Qui peut douter de l’amour criant de ce père, rongé par la culpabilité, envers sa fille paumée et de son jusqu’auboutisme ? Pourtant, Richet n’a pas eu besoin de multiplier les scènes de déclaration d’amour ou de sortir les violons… preuve qu’il est possible d’être clair sans être lourdingue. Le ton du film est, d’ailleurs, tout sauf misérabiliste et s’autorise même quelques saillies comiques ("Où vous l’avez dégoté ? - Dans la salle d’accouchement !"), qui ne viennent pas, pour autant, affaiblir la tension. Autre bon point à mettre au crédit du réalisateur : son sens de l’efficacité qui doit beaucoup à ses partis-pris payants tels qu’un refus des temps morts lancinants (même les moments plus calmes font avancer le récit), un sens aigu du détail et du mouvement (aucun plan n’est basique), une volonté de stylisation des personnages (le travail sur les looks, les plans iconiques comme
celui où ce vieux Link, chevauchant sa moto, fait face à ses assaillants, arme au poing)
et une durée assez courte (1h28) qui convient parfaitement à ce genre d’intrigue. Quant à la qualité de l’interprétation, Richet confirme qu’il est un incroyable directeurs d’acteurs, tant il est parvenu à tirer le meilleur de ses seconds rôles, que ce soit Diego Luna aussi flippant que pathétique, Michael Parks en Prêcheur décati, William H. Macy en amusant parrain ou encore Thomas Mann en concierge sympa. Et ne parlons même pas de la formidable révélation du film, à savoir la jeune Erin Moriarty, qui tient la dragée haute au monstre Mel Gibson et qui devrait refaire parler d’elle prochainement. Non, décidemment, je ne vois rien à reprocher à ce "Blood Father", qui mérite vraiment le coup d’œil et assurera, je l’espère, le retour de Mel Gibson en haut de l’affiche.