Tout le monde disait de ‘Tony Erdmann’ qu’il était le véritable gagnant secret de la Palme d’or de l’édition 2016 du Festival de Cannes, voire même que le dédain du jury à son égard décrédibilisait totalement la manifestation. Les goûts et les couleurs, hein...pour ma part, je reste dubitatif face au résultat, sympathique et non dénué de qualités mais esthétiquement dépourvu de tout parti-pris et tirant nettement en longueur. De quoi parle-t-on, au juste ? D’une corporate suffisamment obsédée par des ambitions carriéristes vides de sens pour dégager une nette aura d’insatisfaction butée qui reçoit la visite impromptue de son hurluberlu de père, lequel semble déterminé à se grimer de la façon la plus grotesque possible pour semer le trouble dans le cadre professionnel et privé de sa fille. S’il est vrai qu’on sourit parfois, on ne hurle jamais de de rire. Disons que j’ai du mal à déterminer chez quel type de public des gags à base de coussins-pêteurs et de fausses dents provoqueraient plus d’hilarité que de gêne. En fait, l’impact humoristique de ‘Tony Erdmann’ reste assez nettement indirect et provient de l’insensible travail de sape qui s’opère, par la seule présence de ce clown dans un cadre où sa présence est impensable, sur les codes et les normes d’un écosystème socio-culturel étanche. Dans tous les cas, ça reste de l’humour allemand et comme chacun le sait, un Allemand, ce n’est pas déconnant. Néanmoins vendu comme une comédie, ‘Tony Erdmann’ convainc davantage sur sa facture dramatique, nourrie d’une symbolique auteurisante assez limpide, en ce sens qu’elle dresse des constats très évidents mais auxquels le film laisse largement le temps de se déployer et d’être approfondis : elle dépeint, avec une réelle acuité, la férocité du monde du business international, les rapports de force et de domination, la fausseté, la déloyauté et la superficialité qui le caractérise et, surtout, le fait qu’il est d’autant plus difficile pour une femme, renvoyée à son sexe et à ses capacités de séduction, de s’y imposer. En parallèle, les actions de trublion Erdmann constituent une leçon de vie d’un homme vieillissant à sa fille qui s’est inconsciemment construite par opposition aux valeurs qu’il défendait, une ultime tentative d’inculquer une forme de lâcher-prise face au poids écrasant de la norme, qui peut conduire à la fois à une certaine sérénité ou à la prise de contrôle soudaine de cette norme à son propre avantage. En cela, ‘Tony Erdmann’ est une sorte de manifeste révolutionnaire de type situationniste, qui a du remplir d’extase les derniers défenseurs de mai 68...mais je ne peux pas m’empêcher de songer que l’objectif aurait été plus lisible et radical si le film avait été français, et l’esprit bien plus teinté de folie furieuse s’il avait été britannique. En tout état de cause, il aurait été moins long.