Qu’il est beau, ce fameux Toni, sa fausse coupe de cheveux noire dansant avec les agitations du vent, ces fausses dents qu’il dissimule dans une poche de sa jacket ou derrière ses lèvres, puis ce coeur fatigué propageant des émotions fortes (belles et bien vraies, quant à elles), partagées comme lors de cette scène entre frustration et énervement. Les sentiments de Windried, second personnage interprété par le démentiel Peter Simonischek, dévorent alors tout lorsqu’il voit sa propre fille sniffer de la drogue sous les yeux excités de ses collègues de bureau. Maren Ade, réalisatrice et scénariste de son propre projet d’une durée de presque trois heures, propose un véritable tourbillon cinématographique, entre rires et pleurs, joie et tristesse, et nous fait parcourir un pays (la Roumanie) mais en même temps un monde de l’entreprise et de la finance à vomir, déprimant à cause d’une non-humanité ambiante et de personnages détestables. Et dans ce lot d’ordures, un père y retrouve sa fille. S’ensuit alors une aventure poignante et inattendue, entre soirées dans lesquelles des membres de la « haute communauté » se réunissent pour boire des verres et des rencontres avec la population locale, au détour d’un pommier. La mise en scène est assez attrayante et assez intuitive pour laisser le spectateur baigner, soit dans un sentiment puissant, soit dans le rire. Il n’est pas simple de parler d’une oeuvre qui joue sur très peu de tableaux mais qui sait en même temps nous faire vivre autant d’émotions différentes et nous offrir une palette de couleurs aussi luxuriante qu’originale, et ce en si peu de temps. Rien que la première scène reflète très bien cet état d’esprit; rien que la première apparition de Simonischek laisse sans voix tellement que cette dernière est maîtrisée et surtout réussie. C’est qui plus est une joie d’entendre la magnifique langue allemande dans un film palpitant, attachant et aussi spirituel. Entre jeu de regards et d’apparences se créé sous nos yeux une véritable bataille, durant laquelle nos deux combattants tentent de retrouver quelque chose qu’ils avaient perdu depuis bien trop longtemps. L’une, son assurance dans ses actions en rapport avec son métier (chose qui lui importe le plus au monde), l’autre, une fille devenue trop vite femme, cette dernière ne sachant plus vivre que dans la certitude de son travail et sans la luxure superficielle offerte par les bons soins du patron. Sandra Hüller confirme son talent, une fois de plus, en interprétant cette fleur fanée trop vite, trop à l’ombre d’une lumière vacillante. « Toni Erdmann » est une fabuleuse réussite sur les relations entre nous, humains, femmes et hommes, pères et filles, et sur notre capacité à nous adapter à la surprise liée à l’inattendu. Autant bouleversant que magnifique. Bref, Maren Ade a signé un chef d’oeuvre. Merci à elle.