Réalisée par la jeune Maren Ade (dont c'est le troisième long-métrage), "Toni Erdmann" fut le véritable événement et tremblement de terre de Cannes 2016. Ayant suscité des applaudissements au milieu de la projection, puis un accueil triomphal, "Toni Erdmann" s'annonçait comme la meilleure comédie de l'année et le favori à la palme d'or. Peine perdue : le film repartit bredouille (se contentant du Prix de la critique internationale). S'en étonnera t-on? Pas vraiment. Après tout, la dernière comédie couronnée à Cannes fut le génial "M.A.S.H" (Robert Altman, 1970). Le rire est peu coutumier à Cannes (et NON "La chambre du fils" de Nani Moretti et "Entre les murs" de Laurent Cantet n'étaient pas des comédies). En même temps... Ce film méritait-il des prix? Ce point peut en effet être discuté.
Donc, Toni Erdmann, de son vrai nom Winfrield Conradi, la soixantaine, prof de piano. Signe particulier : est un joyeux drille qui aime faire des blagues. Vit en Allemagne et a une fille : Inés. Elle est une femme d'affaires, qui travaille à Bucarest (Roumanie) pour des entreprises locales. Une femme froide, qui aide des entreprises à mettre en place des plans de licenciement et qui ne vit que pour son travail. Entre les deux personnages, une relation non pas tendue, mais inexistante... jusqu'au jour où Winfrield se rend en Roumanie, bien décidé à redonner le sourire à sa fille.
Voici donc le résumé du film. Film que plusieurs critiques considèrent comme une belle histoire d'amour entre un père et sa fille. Il est vrai que la relation des deux personnages glissent lentement (le film dure quand même 2H42...) vers un véritable amour filial. Mais, on a par moment l'impression d'assister davantage à une sorte de duel. Une confrontation entre deux êtres et deux conceptions de la vie. Une vie simple où le bonheur est l'unique préoccupation du père. A ce titre, la scène d'ouverture où Winfrield "piège" un facteur est une formidable scène de présentation. De l'autre, une vie d'acharnement, dans l'espoir d' être toujours plus grand, plus important, une vie qui repose uniquement sur le sens des affaires pour la fille (on pense à la scène où Inès négocie même en dehors du bureau dans son salon de massage). De ces deux façons de vivre, il n'est pas difficile de deviner laquelle préfère la réalisatrice : c'est évidemment la vie du père qui a toute sa préférence . Chose habile chez la metteuse-en-scène : ne pas dresser un portrait manichéen. Ce n'est pas Inés (l'individu j'entends) que critique Maren Ade, mais beaucoup plus le système capitaliste qui happe les personnes et les déshumanise. C'est donc la deuxième étape de "Toni Erdmann" : montrer les facettes de la finance et de ce monde des affaires. Un monde froid, plein de tensions où il faut à tout prix être le meilleur, le premier. Un monde où les gens portent des masques, une micro-société du paraître où l'habit fait cependant bien le moine. A ce monde si sérieux (même les fêtes semblent tristes) s'introduit, en la personne de Toni, le grotesque et le burlesque. Ainsi, le stratagème de Winfrield consiste à s'immiscer dans la vie professionnelle de sa fille en se faisant passer successivement pour un homme d'affaire, l'ambassadeur d'Allemagne et un coach, du nom de Toni Erdmann. C'est surtout grâce à cette idée que le film tourne par moment à l'hilarant (l'intrusion du père dans la conversation de sa fille et deux de ses copines par exemple). Il faut ensuite noter que plusieurs scènes ont de bonnes chances de passer à la postérité (la "naked party", morceau de bravoure titanesque, déjà dans les annales).
D'un autre côté, je ne pense pas que ce film méritait autant d'éloge. Le bémol principal? Sa longueur. C'est long, mais long... C'est d'autant plus grave que le film aurait très bien pu être coupé par moment : certaines scènes s'éternisent (surtout celle, interminable, de la chanson) quand elles ne se révèlent pas tout simplement inutiles. Que dire de cette séquence, ignoble, vulgaire, inutile et looongue, des cupcakes De plus, le film exprime trop littéralement ce qu'il veut dire (certaines scènes sont sur-explicatives). Dommage, le film, réduit d'une bonne demi-heure aurait pu être plus percutant.
On passe donc un bon moment devant ce très démonstratif "Toni Erdmann". Certes, ma déception est due aux échos répandus sur le film et à l'énorme attente que j'avais. Mais les longueurs ne peuvent faire oublier des scènes comiques déjà anthologiques.