"Party Girl" a fait souffler un vent d'air frais sur le festival de Cannes 2014 où il a reçu la Caméra d'or comme 32 ans avant lui "Mourir à trente ans" un autre magnifique film français où Romain Goupil nous emmenait dans ses souvenirs de révolutionnaire soixante-huitard à la recherche de son copain de lutte suicidé, Michel Recanati. Certains ont reproché à Samuel Theis, un des trois réalisateurs de mettre en scène de manière impudique sa mère prostituée et ses propres frère et sœurs pour une fiction nettement inspirée de la vie privé de la famille. Les mêmes s'extasient sans doute devant le cinéma-vérité de John Cassavetes qui tentait de prendre la vie sur le vif avec une bande d'acteurs dont son épouse, dans des films où il criait son désespoir sur la difficulté d'être artiste ou tout simplement de vivre. Le tour de force de "Party Girl" est ailleurs, parvenant à nous faire croire que nous sommes devant une fiction et que les membres d'une même fratrie sont capables de rejouer pour de vraie certaines situations de leur vie commune. On est estomaqué par la performance de chacun de ces acteurs amateurs qui sont tous justes que ce soit dans la gestuelle ou dans les dialogues. La Nouvelle Vague tant encensée se faisait fort elle aussi d'aller chercher la vérité en improvisant des inconnus devant la caméra. Le plus souvent les dialogues étaient ânonnés avec une morne platitude qui figeait le film dans un ennui prétentieux. L'intellectualisme très prisé des réalisateurs phares du mouvement suffisait à mettre un beau ruban autour des films souvent abscons de leurs congénères moins connus, tous disparus depuis des écrans radars. Rien de tout cela ici, le trio de réalisateurs-scénaristes ayant pris soin de placer ses acteurs novices dans un cadre et des situations qu'ils connaissaient bien. Très bonne idée qui donnait toutes ses chances à ce projet ambitieux mais aussi un peu risqué. Angélique est une femme de la nuit qui a eu son heure de gloire, affolant la clientèle dans différents clubs de striptease à la frontière allemande. La soixantaine venue, elle passe plus de temps à boire qu'à faire boire et c'est souvent ivre qu'elle termine ses nuits. Autant dire qu'elle n'est plus très rentable. Il serait temps de raccrocher mais quoi faire quand on n'a été qu'un "papillon de nuit" comme le dit elle-même Angélique. Quand Michel, un ancien mineur à la retraite et fidèle client lui propose le mariage, elle se dit comme tout son entourage et sa famille que l'occasion est trop belle. Mais paradoxalement et en dehors de tous les lieux communs sur la tragédie du destin de prostituée, Angélique est attachée à la vie qu'elle mène, faite d'imprévus et d'une certaine forme d'insouciance qui vous donne longtemps l'impression d'être jeune et désirable. En réalité sous le rimmel et les rides se cache une jeune fille qui rêve du grand amour. Le fantasme de beaucoup d'hommes d'attraper le cœur d'une femme de joie, Angélique y a toujours été prête et elle l'est encore malgré le troisième âge qui guette. Michel sera t'il celui-là ? Telle est la question du film où vers ce mariage qui se prépare, convergent les espoirs et les doutes de chacun. Les enfants qui espèrent voir leur mère entrer dans la normalité, Michel et Angélique qui rêvent du grand amour. Il faut dire un mot d'Angélique Litzenburger, impériale pour sa première et peut-être unique apparition à l'écran sans doute aidée par son métier qui s'apparente par certains de ses aspects au jeu d'acteur. Sa vitalité, sa malice mais aussi ses doutes et son désarroi crèvent l'écran, entrainant tout le monde derrière elle, chacun ayant à se déterminer par rapport à son rôle de mère, d'amie ou de future épouse. Toute proportion gardée, il y a un peu de Gena Rowlands et d'Anna Magnani chez cette curieuse femme. Plus surprenant encore la performance de Joseph Bour dans le rôle de Michel, repéré dans un bar par le trio de réalisateurs qui affronte avec assurance les scènes intimes les plus délicates. Expérience forcément éphémère pour la plupart des protagonistes, "Party Girl" démontre que le talent d'acteurs sommeille chez beaucoup d'entre nous. Cela a forcément quelque chose de gênant quand on sait que les métiers du cinéma sont qu'on le veuille ou non réservés à une petite élite de jeunes gens qui ont eu le temps de se chercher et dont les parents connaissent quelqu'un qui connait quelqu'un. D'où peut-être la réticence de certaines personnes du métier à admettre "Party Girl" comme un film à part entière. N'en déplaise, c'est une réussite totale.