Jamais vu un seul The Grudge de ma vie, et il fallait que je tombe sur le deuxième reboot américain; un peu comme si j'avais découvert la franchise The Ring avec Rings, catastrophe de 2017 sans grand chose à en sauver à laquelle cette nouvelle version 2020 faisait irrémédiablement penser. C'est bien heureusement au dessus de ce qu'avait pu nous offrir F. Javier Gutiérrez, autant au niveau de la réalisation que de sa photographie.
Tout comme le reboot américain de l'autre grande figure fantôme nippone, The Grudge tente de dépoussiérer le mythe en modifiant la structure de son intrigue : si l'on n'échappe pas aux inévitables phrases d'accroche sur fond de pré-générique glauque (où les mots mort et malédiction seront bien surlignés en rouge), le reste tentera de faire du neuf avec la plume de son réalisateur auteur, Nicolas Pesce, figure peu connue venue du cinéma d'horreur indépendant.
L'idée de mêler les époques et les personnages dans une seule enquête était excellente : mais comme avec le Seules les bêtes de l'année dernière, l'entreprise, tout aussi engageante qu'elle soit, se perd très rapidement dans ses idées et plonge son intrigue dans un gloubi boulga d'idées pourtant intéressantes, si elles n'avaient pas été si mal agencées entre elles.
Il profitera d'ailleurs de ses cinq dernières minutes aux CGI affreuses (passons, c'est naturel avec un budget assez faible) pour régler le cas de la première famille entraperçue dans ce massacre géant, montrant finalement les origines du personnage de Melinda, et nous faisant comprendre à son dernier plan qu'on aura finalement rarement vu le fantôme attendu, cette fille vengeresse aux cheveux noirs et sales qu'on attendait de pied ferme; Melinda, version américanisée et fade du personnage, tiendra lieu de gosse flippant repompant largement les poncifs d'enfants flippants de films américains sortis post-Shining.
S'il est plutôt gênant de ne pas bien voir le personnage attendu, ses quelques apparitions discrètes marqueront un grand coup, notamment son ultime apparition, maligne et bien mise en scène, témoin du savoir-faire horrifique de son réalisateur. Un nouveau venu qui n'hésitera pas à jouer sur la symétrie de l'intérieur de la maison et une alternance suggestion/gros plans pour créer au départ un suspens qui se changera rapidement en frissons.
Un réalisateur talentueux à la photographie réussie (encore que certaines scènes de nuit manquent de lisibilité) dont le travail, très honorable, se voit rapidement gâché par la trop grande présence d'effets horrifiques attendus, des jumspcares vulgaires aux gros plans soudains révélant toute l'horreur et le gore de visages pour le coup bien maquillés. Autant agression pour les yeux que pour les oreilles, ces moments de sursauts n'atteignent pas en terme d'émotions la violence de quelques images très réussies, du cadavre dans la voiture au couple massacré en fin de film.
Il y a d'ailleurs, dans cette jonction des destins absolument impitoyable, un genre d'ironie terrifiante : l'écriture présentant très mal l'achèvement de toutes ces vies irrémédiablement liées entre elles, la mise en scène du réalisateur remplacera ce que la narration ne peut transmettre, donnant à un climax dans la maison maladroit mais esthétique et marquant, qu'une écriture raisonnable et de bons acteurs (tous sont abominables, particulièrement la femme enceinte, hilarante quand elle dit aimer son mari et son gosse) auraient bien aidé.
Coupé du soutien sur la forme, Pesce s'est lui-même handicapé en terme d'intrigue (il est l'unique scénariste du film) en multipliant l'ensemble des pires clichés de caractérisation de personnages : l'héroïne, Détective Muldoone, grande âme protégeant l'humanité, a perdu son mari d'un cancer et doit gérer seul son fils qu'elle aime plus que tout; le héros, flic torturé au grand coeur dénommé Détective Goodman (tout de même), est une personnage solitaire et maudite qui fume comme un pompier, ironisant sur ce cancer qu'il pense ne jamais rencontrer, et boit son whisky comme un homme, un vrai.
Tous les personnages présentés ayant une vie globalement pourrie, on s'amusera de compter les différents clichés, présentés ici comme cache-misère d'une rédaction incapable de présenter des personnages un tant soit peu humains, fragiles, normaux. Ils sont tous le reflet d'un caractère particulier utilisés par la plupart des films d'exploitation sans imagination, registre auquel The Grudge 2020 fait partie intégrante.
D'un autre côté, ce reboot donnera un peu de lisibilité à Nicolas Pesce, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Espérons qu'il reviendra à la charge avec un film personnel, loin des carcans d'Hollywood et de ses sentiers battus.