"Fatima", le film de Philippe Faucon, réalisateur que je suis avec attention depuis quelques années : il avait parfaitement saisi dans "La désintégration" l'itinéraire d'un de ces enfants perdus des cités. Fatima est tiré des livres de Fatima Elayoubi, qui y raconte sa vie. Fatima comprend approximativement le français mais ne le parle pas, elle fait des ménages. Elle vit seule – son mari s'est remarié - avec ses deux filles : Souad, à 15 ans, ne comprend pas sa mère, voudrait être comme les autres filles et se révolte contre les profs, la société et traite mal sa mère, qu'elle juge exploitée et ostracisée par la société, et dont elle a honte. L'aînée, Nesrine, 18 ans, commence, malgré les difficultés liées à son statut de fille d'immigrée, des études de médecine. Fatima vit son absence de maîtrise du français comme la source principale de ses difficultés, notamment avec sa fille cadette, car elle ne vit que pour ses filles, voulant leur offrir le meilleur avenir possible. À la suite d'une chute dans un escalier, elle est en arrêt de travail pendant plusieurs mois. Elle écrit alors dans des cahiers ses pensées, ses idées, ses impressions, tout ce qu'elle ne peut guère dire à ses filles. Nesrine, qui a écouté les écrits de sa mère que Fatima lui a lu à haute voix, réussit sa première année, la plus difficile, Souad en est heureuse et va peut-être revenir à de meilleurs sentiments.
On voit donc ici deux générations de femmes, la mère, immigrée, handicapée par sa méconnaissance du français, et ses filles, qui veulent s'émanciper, chacune à sa manière, et qui ne parlent pas l'arabe (elles répondent en français à Fatma qui leur cause en arabe). La violence sociale est omniprésente, aussi bien celle des employeurs de Fatima, que celle que renvoient la mère d'une camarade de lycée de Souad, ou celle qui se présente au moment de louer un appartement pour Nesrine. Le film, très concret, nous oblige à nous poser des questions sur comment s'adapter, comment s’approprier une culture différente. Chacune, la mère bien entendu, mais les filles aussi, sont renvoyées sans cesse à leur origine. En écrivant, Fatima, tout en aaquérant une conscience affinée de ses difficultés, accepte ce qu'elle est – et qui n'est pas négligeable, et refuse la résignation (comme en suivant des cours d'alphabétisation). Ici, on est loin des idées toutes faites sur les immigrés, aussi bien qu'éloigné de toute sensiblerie ou des bons sentiments. C'est avant tout un film qui porte haut la dignité de l'individu dans la société. Admirablement joué, Fatima est le film indispensable de cette année 2015. Comme l'a écrit mon amie C., d'Amiens, il devrait même être obligatoire en ces temps de frilosité et de repli identitaire : mais les tenants de la « race blanche » ont-ils envie de voir de l'humanité dans les autres ? J'en doute.