Dans le coeur de Fatima, sinon dans sa vie, la place est largement occupée par ses deux filles, qu'elle élève quasiment seule (la cadette voyant, de temps à autre, son père). Difficile de les voir grandir et s'émanciper, d'autant plus difficile que Fatima est écartelée entre sa fierté, ses espoirs, ses incompréhensions, ses craintes et surtout sa peur du "qu'en dira-t-on". Il ne manque pas de commérages dans son entourage et Fatima exhorte ses filles à tout mettre en oeuvre pour échapper aux rumeurs malveillantes.
L'aînée, Nesrine, a de quoi faire la fierté de sa mère, puisque, ses résultats scolaires ayant été excellents, elle s'apprête à commencer des études de médecine. Avec la cadette, Souad, 15 ans, c'est autrement plus compliqué: c'est une adolescente en révolte qui, plutôt que d'aller en classe et de travailler, préfère passer son temps à traîner dans les rues.
Pour Souad comme pour Nesrine, une des maladies qui rongent l'âme s'appelle la honte. Elles ont honte d'une mère qui porte constamment un foulard, maîtrise mal le français et subvient à leurs besoins en faisant des ménages. Souad, l'adolescente en crise, le dit sans détours à sa mère, lui reprochant d'être une "cave" qui se laisse exploiter sans rechigner. Du côté de Nesrine, la honte n'est jamais exprimée directement, mais elle n'en est pas moins réelle: à sa colocataire qui l'invite à sortir, elle répond qu'elle préfère rester seule, de peur de devoir parler de sa mère à un inconnu trop curieux qui lui poserait des questions.
Si la communication entre Fatima et ses filles s'avère difficile, on n'est pas surpris de constater combien c'est encore plus problématique quand il s'agit d'autres personnes. Fatima est loin d'être dénuée d'intelligence ni de perception: elle a bien compris que l'argent qui traîne comme par hasard dans une des demeures où elle fait des ménages y a été laissé à dessein pour tester son honnêteté. Mais, le jour où elle participe, au collège où est scolarisée Souad, à une réunion de parents et qu'elle est invitée à s'expliquer à propos de sa fille, elle demeure muette. Elle est incapable de s'exprimer correctement en français, comme les autres parents. Ce n'est pas qu'elle n'a rien à dire. Au contraire, mais ce qu'elle a à dire, elle le confie, quand elle dispose d'un peu de temps, à un cahier, dans lequel elle écrit en arabe. C'est, en quelque sorte, son cahier de confessions: elle y met tout son coeur, toutes ses pensées, toutes ses craintes et tous ses espoirs.
Venant après "Dheepan" et son accablante collection des clichés les plus éculés et les plus rances sur les cités sensibles, ce film en apparaît comme l'antithèse. Après l'esbroufe d'Audiard, bienvenu à la sobriété et à la justesse de ton de Philippe Faucon. Porté par de superbes actrices, "Fatima" va toujours droit à l'essentiel, semble toujours criant de vérité et touche le coeur du spectateur sans jamais tomber dans le sentimentalisme. Les personnages sont incarnés, ils n'ont rien du symbole. Fatima n'est pas parfaite, son raisonnement s'encombre, par moments, de préjugés, mais elle reste et restera comme une des plus belles et plus touchantes figures de mères au cinéma. 8,5/10