La plus grande force de « L’ombre des femmes » est sans doute sa durée. Suffisante pour exprimer, en jeu de miroirs, sa perception sur la fidélité d’un cinéaste exigeant et savamment étudiée pour ne pas lasser le spectateur. Garrel fait place nette dans sa mise en scène, ne retenant que le sensitif pour ce trio adultérin pourtant classique. Cet ascétisme visuel laisse s’exprimer les corps, bien plus que les émotions, souligne également le dénuement des protagonistes tant matériel que sentimental. La voix of quant à elle, ne fait que confirmer, du bout des lèvres de Louis Garrel, nos impressions. Le scénario et les dialogues sont précis et incisifs, proche d’une certaine théâtralité contrariée fort heureusement par la lumière de Renato Berta (dont le travail extraordinaire de noirs et de blancs contrastés se rapproche du « Rendez-vous » de Téchiné), le son et la musique (Aubert des grands jours) jouent aussi un rôle primordial, insufflant au film le vérisme de la situation. Car il s’agit bien de cela, l’infidélité porte ici plusieurs masques, elle tient au couple mais également à l’individu dans sa perception des et par les autres, Pierre et Manon autant en perte de désir que de confiance et se jouent l’un de l’autre. Pierre, c’est Stanislas Mehrar qui, d’un rôle très ingrat, se révèle avec beaucoup de finesse dans le détachement ou le désabusement. Manon est interprétée par Clothilde Courau, et c’est elle qui emporte les suffrages de l’émotion tant son jeu est précis et juste. Elle exprime vraiment un talent que l’on ne lui connaissait pas jusque là, cantonnée dans des rôles hystérico-comiques (parfois même à son insu). Mais l’esthétique beauté de l’ensemble et ses interprètes impeccables, ne viennent pas pour autant combler totalement la distance posée par Garrel entre le spectateur et lui, une véritable constance dans son cinéma. Sa manière d’appréhender son sujet et de le filmer, à la manière « Nouvelle vague » (on pense à « La peau douce » de Truffaut) dégage une certaine froideur, une distance qui gênera sans doute plus d’un spectateur. Pour ma part, j’ai beaucoup apprécié, peut-être par le fait que ce film là est moins « oppressant » que les précédents. Plus certainement parce que j’ai été touché par l’histoire de ce couple si banale et si admirable en même temps. Une jolie mélodie de vie qui fait appel aux paroles de la chanson de Pierre Barouh pour « Un homme et une femme », à l’ombre de Manon et Pierre restera toujours un goût d’éternité, au nom de leur amour, une ombre va rester…