Il faut être bien osé pour superposer la Grande Histoire à travers le récit de résistants et la petite histoire d'un couple en dérive amoureuse. Il faut surtout un grand talent, ce qui ne fait pas l'ombre d'un doute s'agissant de Philippe GARREL. En l'occurrence, Pierre prépare avec sa femme, Marion, un film sur un ancien résistant valeureux, pendant qu'il la trompe à ses heures perdues avec une jeune doctorante, Elisabeth. Cette dernière, curieuse de voir avec qui Pierre vit, se rend compte que Marion elle-même a un amant qu'elle fréquente surtout dans les brasseries des grands boulevards parisiens. Il n'y a aucune vacuité dans ce film qui échappe avec brio au risque du mélodrame bourgeois, parisien et bobo. Au contraire, le film traite avec gravité et profondeur, l'usure normale des couples, l'engagement du mariage, le doute amoureux qui n'est jamais du marivaudage. La grande réussite du film se concentre sur les deux acteurs principaux, Stanislas MEHRAR et Clotilde COURAU, qui resurgissent de l'oubli médiatique dans un jeu assez époustouflant. Les visages, la crispation des bouches, le clignement des yeux, dépassent le jeu dialogué, faisant de ces acteurs deux cœurs mis à nu, troublants de vérité et de détresse. Clotilde COURAU brille dans son sourire de façade, Stanislas MEHRAR est saisi de tremblements de souffrance. Il y a du TRUFFAUD dans ce film avec la voix de Louis GARREL qui porte l'image dans un récitatif subtil et délicat de la séparation amoureuse. Il y a du TRUFFAUD aussi dans l'image noire et blanche, volontairement abîmée et granuleuse. La lumière est splendide, renforçant ainsi le talent du réalisateur à montrer la violence ou l'amour d'un couple dans l'ellipse et la suggestion. Un mouvement de caméra vers une fenêtre, le montage d'une porte à l'autre, sont autant d'exemples de la grande richesse du film qui fonctionne à coup d'implicites narratifs. "L'ombre des femmes" est un beau film féministe, où les femmes subissent la violence terrible d'un homme, orgueilleux et solitaire, et en même temps, où les femmes font gagner la vérité sur le mensonge. On ne révèlera pas la fin, drôle et nécessaire, qui donne au film une tonalité moins lourde et pompeuse qu'il ne pourrait faire supposer. On y apprend avec beaucoup de rires qu'il est préférable de pisser là on se douche que de se doucher là où on pisse !! C'est la preuve que même un réalisateur de génie comme Philippe GARREL est capable de beaucoup d'intelligence et d'autodérision.