Pour son nouveau film, la réalisatrice et scénariste Stéphanie Pillonca s’est mise dans une position difficile : adapter le roman de Jean Teulé, cet écrivain aux sujets et au style si particuliers. Pillonca choisi de faire évoluer sa « Fleur de Tonnerre » dans une Bretagne certes soigneusement reconstituée mais en accentuant autant qu’elle le peut le côté sauvage et inhospitalier. Cela passe par beaucoup de petites choses : un temps perpétuellement gris, de nombreuses scènes dans la lande, dans les récifs, des décors de granit, des costumes défraichis, même pour les gens plutôt fortunés. La Bretagne de Stéphanie Pillonca est pauvre, laissée pour compte, tiraillée entre un catholicisme omniprésent et des superstitions païennes mortifères. C’est, disons-le tout net, une Bretagne presque arriérée qui est montrée ostensiblement à l’écran, comme elle était décrite dans le roman d’ailleurs. Cela donne au final une ambiance assez lourde, un tout petit peu plombante au film de Pillonca. Elle démontre par ailleurs quelques belles petites choses en termes de réalisation, des jolis plans, des décors naturels choisis avec soin, une musique plutôt bien utilisée. Elle soigne son film en lui donnant du rythme avec une construction chronologiquement éclatée : Les scènes d’interrogatoire (après son arrestation) entrecoupent le parcours de tueuse d’Hélène, qui commence dés l’enfance
avec sa première victime : sa mère
. Cette construction narrative n’est pas nouvelle ni originale mais elle a deux mérites, elle empêche le film de tourner en rond en lui donnant un peu de rythme et coupe l’herbe sous le pied d’un quelconque suspens malvenu,
on sait d’emblée que son parcours va s’achever sous la lame de la guillotine
, mais cela n’enlève pas un gramme d’intérêt pour son histoire et sa personnalité. Sa personnalité, parlons-en. Il n’est jamais question de maladie mentale dans le film, pourtant le personnage d’Hélène est clairement psychotique et Blanche François (Hélène enfant) puis Déborah François (Hélène adulte) ont pour lourde tâche d’incarner la folie de cette femme sans en faire des tonnes, tout en la montrant quand même nettement. Cela passe souvent par le regard, un regard glacial, désincarnée qui fait froid dans le dos, surtout quand on le lit dans les yeux de la toute jeune actrice qui l’interprète enfant. Elles s’en sortent bien, d’ailleurs, en donnant à Hélène une personnalité double (attachante et terrifiante) sans caricaturer ce que l’on imagine être la schizophrénie. Je n’en dirais pas autant de Benjamin Biolay qui ne m’a, encore une fois, pas convaincu. Je ne vais pas me faire que des amis en disant cela mais tans pis : l’intérêt que porte le cinéma français à Benjamin Biolay est à mes yeux un mystère total ! Son jeu est atone, son phrasé l’est encore plus, il semble avoir toute les peines du monde à faire passer une émotion et honnêtement, on a du mal à croire à l’attachement de son personnage pour celui d’Hélène. Les seconds rôles, plutôt bien tenus, son assez peu valorisés et c’est dommage, il y aurait eu matière, et cela aurait contribué à apporter un peu de légèreté au film, et à le rendre un peu plus « digeste ». Je m’explique : le scénario de « Fleur de Tonnerre » n’est pas sans intérêt mais Stéphanie Pillonca, dans son adaptation du roman de Jean Teulé, à complètement écarté la moindre trace d’humour. Or, c’est l’humour noir, presque macabre (mais ô combien drôle) de Teulé qui donnait tout le sel de l’histoire de la Jegado. Sans l’humour, on n’est que dans la chronique judiciaire, ou que dans la chronique psychiatrique ou dans les deux. Mais « Fleur de Tonnerre », c’est plus que ça :
c’est l’histoire d’une fille qui tue partout où elle passe et qui passe systématiquement et ironiquement entre les mailles du filet à chaque fois : personne ne voit rien parce que personne ne veut rien voir, obstinément, mécaniquement, systématiquement. Même quand elle fait tout pour se faire prendre, on ne l’inquiète pas, et les crimes continuent comme une fatalité que rien en semble devoir arrêter : c’est cette ironie cruelle qui donne du sens à son histoire au-delà de sa folie
. Et sur le plan là, Stéphanie Pillonca fait totalement l’impasse et passe à côté d’un film qui aurait pu être bien plus que ce qu’il est. Si elle voulait faire le biopic de la Jegado, il lui fallait intituler son film autrement que « Fleur de Tonnerre ». En plus de dénaturer le ton du roman, elle ne prend même pas la peine d’expliquer le pourquoi de ce curieux surnom. « Fleur de Tonnerre » aurait pu être un très bon film, c’est, au final, une occasion manquée qui laisse des regrets.