Belle surprise que ce dessin animé brésilien. Par sa forme originale, son intelligence et sa sensibilité symboliques, ses jeux de narration et de représentation, il témoigne d'une inventivité et d'une poésie assez rares. Formellement, il offre l'expérience étonnante d'une évolution graphique au fur et à mesure de son récit, au fur et à mesure du parcours de vie du personnage principal, "le garçon". Le début, plutôt déconcertant, est dessiné au crayon de couleur, à la façon d'un enfant, tout en traits vifs et maladroits sur fond blanc. La suite voit l'utilisation de pastels, de feutres, de peintures, avec collage de textes ou de photos puisés dans des journaux ou magazines, mais aussi insertion de quelques prises de vue réelles, type documentaire. Les traits libres et hésitants du début laissent place à des décors géométriques, de plus en plus complexes, chargés, écrasants, à des angles durs et des symétries infinies qui disent l'aliénation sociale, l'uniformisation des modes de vie, la toute-puissance de l'industrialisation qui broie l'homme. Entre le Metropolis de Fritz Lang et les Temps modernes de Chaplin. Ce langage dessiné, associé à un très bon travail sur le son et la musique (percutions, flûte, rap...), se passe de commentaire. D'ailleurs, il n'y a pas de dialogues dans ce film, ou très peu, dans une langue inventée (du portugais à l'envers) qui n'a pas besoin de traduction. Ce haut pouvoir évocateur permet à l'auteur, Alê Abreu, de brasser large en matière thématique, entre fables sociale, écolo et politique, passant au crible d'une critique amère la désertification rurale, la misère urbaine, le monde du travail et de l'entreprise, la société de consommation, la déforestation, les dérives d'États répressifs voire fascisants... Du général au particulier, il en profite ainsi pour parler de l'histoire de l'Amérique du Sud, et notamment du Brésil, son pays, dont l'esprit festif et la joie de vivre semblent mis à mal par une inquiétude et une grisaille nouvelles, comme en témoigne l'affrontement symbolique entre le grand oiseau multicolore et l'aigle noir. Par le prisme de la poésie et du lyrisme, le réalisateur évite ainsi tout didactisme et fait la part belle à l'émotion, du début à la fin. Entre la légèreté joyeuse de l'enfant et la lassitude un peu triste du vieillard, le récit développe une idée intéressante, que l'on comprend sur le tard, celle de montrer le même personnage à différents âges de sa vie et de faire coexister l'adulte avec l'enfant qu'il était, comme chacun garde en soi sa part d'enfance, ici en l'occurrence ce souvenir d'un père disparu, d'une famille unie, qui intervient comme un leitmotiv joliment touchant. Abreu a d'ailleurs une bien belle façon de filmer l'absence, entre réel et imaginaire, passé et présent. Voilà qui, sur un plan narratif et représentatif, est parfois complexe à suivre et peut dérouter les spectateurs enfants (et même les adultes). Ou les inciter, comme le garçon du film, à ouvrir de grands yeux verticaux sur le monde. Quoi qu'il en soit, ce film atypique et mélancolique mérite d'être vu par le plus grand nombre et de faire entendre les bulles colorées de sa musique douce.