Un homme idéal commence comme un conte social : un jeune déménageur (Pierre Niney) découvre dans une maison un manuscrit écrit par un soldat français pendant la guerre d'Algérie. Le texte, sobrement intitulé Journal de guerre, commence sèchement, comme L'Etranger de Camus : « Ce matin, j'ai tué un homme ». Il n'en faut pas davantage pour transformer le déménageur en écrivain : il suffit d'ouvrir un fichier Word et de recopier l'intégralité du manuscrit, sans se poser de questions. Edité quelques semaines plus tard, le journal – devenu roman – fait grand bruit dans les milieux littéraires : on loue son « style épuré », on admire son « écriture mate », on le compare même à Si c'est un homme de Primo Levi. Grâce à son imposture, le déménageur a réalisé son rêve : devenir un jeune auteur en vue, qui fait des séances-photo et drague les jolies profs de Littérature. Il ne faudrait pourtant pas croire qu'Un homme idéal est une satire sociale : le film ne s'intéresse ni au milieu de l'édition, ni à la figure de l'auteur, encore moins à ce qu'il écrit. Il s'agit avant tout d'un thriller qui veut marcher sur les traces de Plein Soleil (Clément, 1960) et du Talentueux Mr Ripley (Minghella, 1999). De ces deux films, il reste surtout une ambiance et un décor méditerranéens : une villa luxueuse avec vue sur la mer, des Ray-Ban et des espadrilles. Le thriller s'enclenche dans ce cadre estival, lorsqu'un corbeau menace l'imposteur et lui réclame de l'argent afin qu'il s'acquitte de sa dette symbolique (il a « volé la mémoire d'un mort », lui rappelle-t-on). Les enjeux du film, sur le papier, ne manquent pas d'intérêt : l'imposture littéraire aurait pu faire resurgir un refoulé historique (l'Algérie) sur le modèle de Caché d'Haneke. Elle aurait pu aussi questionner la place du personnage, qui n'est pas un "héritier" et s'introduit dans les milieux bourgeois cultivés. Le film essaie – tardivement – de s'emparer de cette question, mais ce qui le préoccupe d'abord, c'est le bon déroulement de son thriller. Il faut reconnaître que celui-ci est très grossièrement écrit, qu'il devient même catastrophique à mesure que l'étau se resserre sur l'imposteur. Par sa manière de faire disparaître les corps, d'effacer les preuves, le personnage de l'imposteur se situe à la limite de la parodie et le jeu très sérieux de Pierre Niney ne fait qu'accentuer le comique involontaire des situations. Epuisé par ses mauvais rebondissements, le scénario d'Un homme idéal revient pour finir vers la fable sociale. Celle-ci pourrait s'intituler "Les Pistolets de Pouchkine". Il s'agit d'une scène apparemment anecdotique, où le beau-père de l'imposteur lui présente les armes de collection qui se trouvent dans son salon : parmi celles-ci se trouvent les pistolets de l'auteur russe. Lorsque viendra le moment de voler les armes (pour s'acquitter de ses dettes), l'imposteur ne touchera pas aux pistolets : les biens culturels resteront à leur place. Là réside la sage morale de la fable que nous raconte le film : les pistolets de Pouchkine ne peuvent devenir les symboles d'une vengeance sociale – comme les fusils de "La Cérémonie" de Chabrol – parce qu'il n'y a pas de lutte des classes. L'imposteur, dès lors, n'a plus qu'à se punir lui-même en retournant du côté des ombres : c'est ainsi qu'il est vu dans la dernière scène du film. De l'autre côté d'une vitrine de librairie, il aperçoit un monde qu'il a quitté : celui des bourgeois lettrés, réunis autour d'une lecture publique de son roman, celui qu'il a écrit, lui-même, durant son séjour dans la villa. Le déclassé, nous dit cet épilogue, est peut-être devenu un auteur, mais cet auteur n'aura ni voix, ni visage. La littérature, comme les pistolets de Pouchkine, doit rester l'apanage des bourgeois.