Je me suis fait prendre au piège. L'affiche, la bande annonce, les extraits, tout fait penser à un gentil film pour enfants de 7 à 77 ans. Et toc, raté. On sent très rapidement que quelque chose cloche dans la vie de Conor. Enfant martyr à l'école, les adultes semblent à peine le voir. Les rares camarades qui croisent son regard le labourent de coups qu'il encaisse douloureusement mais avec courage. A la maison, il est confronté à une autre souffrance.
On comprend assez vite que maman ne va pas bien
; Felicity Jones est d'une grande sensibilité dans ce rôle de mère, jeune, qui affronte la maladie sans renoncer à soutenir son enfant. La grand-mère, admirablement interprétée par une Sigourney Weaver, semble entretenir des relations orageuses avec son petit-fils dans lequel elle voit le gendre, parti très loin.
Celui-ci n'est pas jugé par les auteurs du film, mais on comprend mal le peu d'empathie qu'il a pour la mère de son fils mourante
. Conor, lui, sans le rejeter, ne comprend pas pourquoi il ne pourrait pas avoir sa place dans la vie de son père. Il manque ici des pièces du puzzle.
Mais ce n'est pas le propos du film. Il est surtout question de résilience. Et comme il n'est pas question de siffler une armée de psys qui viendraient irrémédiablement plomber le film, Juan Antonion Bayona appelle à sa rescousse ses souvenirs cinématographiques. Et c'est de Spielberg que certaines scènes sont directement inspirées.
Voilà un incroyable film qui ose mêler des questions aussi douloureuses,
la mort de la mère, la culpabilité du fils, le passage de l'enfance à l'âge adulte,
avec des clins d’œil assumés à E.T. l'Extraterrestre, les Gremlins, le BGG... Mais qu'on ne s'y méprenne,
le monstre d'ici n'est qu'une métaphore et l'enfant ne s'y laisse même pas prendre. Le monstre, il est dans sa tête. Le monstre, c'est tout sauf un vrai monstre. Pas d'apparitions extraordinaires ici, la vraie vie reprend irrémédiablement le dessus. Cet imaginaire sert à Conor pour surmonter les épreuves de la vie, donner du sens et, finalement, comprendre ce qui est important de faire.
Faisons bref : j'ai adoré le film. Parce que je ne m'attendais absolument pas à ça, j'ai été pris en traître par un flot d'émotions. Et c'est pour ça qu'il faut absolument prévoir la boite de Kleenex dès avant le générique. Car à moins d'avoir un coeur de pierre, on a quand même du mal à retenir les sauts de son coeur devant la colère de l'enfant, magnifiquement interprété par Lewis MacDougall qui met une énergie incroyable sur certaines scènes où se mêlent colère, révolte, douleur, impuissance... Ce gosse est surprenant de justesse parce qu'il donne l'impression, parfois, de ne pas jouer mais de vivre son personnage...
Ce qui m'a également surpris, c'est la précision chirurgicale de la description de ce lent chemin de résilience, car c'est de cela qu'il s'agit. En fait, tout un chacun qui a vécu un deuil pourra, à un moment, se reconnaître dans ce film. Pour moi, ce fut cette impression d'avoir été fouillé au plus profond de mes entrailles lorsque le monstre fait comprendre à l'enfant qu'il n'est ni héros parfaitement bon, ni méchant parfaitement méchant. Et qu'il est tout à fait normal, à travers la douleur de l'autre, de projeter sa propre douleur, d'espérer que la camarde passe plus vite non pas seulement pour celle qu'elle vient faucher, mais aussi pour celui qui reste, qui n'en peut plus de souffrir et qui veut que ça s'arrête, qui oscille entre empathie et culpabilité : suis-je un héros ou un salaud ?
Ni l'un ni l'autre. Juste quelqu'un qui a mal.