Entre cette nouvelle approche de "West Side Story" et les projets à venir pour 2022 et au-delà, "Ready Player One" en 2018 sonne de plus en plus comme un prologue, une ouverture par monsieur Spielberg vers son rapport au passé : qu'est-ce qu'on garde, qu'est ce qu'on fait évoluer, comment on aborde la nostalgie sans chercher à être une répétition bête et méchante en forme de doudou. Si "RPO" déconstruisait la pop culture et l'attachement qu'on lui porte dans tous les sens possible, l'envie semble être tout autre lorsque il s'agit de revisiter la comédie musicale dirigée par Robert Wise 60 ans plus tôt.
Il me paraît avant tout nécessaire de faire preuve de respect envers un Steven Spielberg qui connaissait le "West Side Story" de 1961 par cœur durant son adolescence, film qui a participé à le définir en tant que réalisateur, réalisateur qui aujourd'hui à trouvé la confiance d'aborder l'œuvre par le prisme de sa propre cinématographie. Dès les premières minutes, le film tranche radicalement avec son aîné : toujours accompagné de son (incroyable / fantastique / talentueux / épousez moi monsieur) directeur de la photographie Janusz Kamiński, qui suit Spielberg depuis "Schindler's List" en 93, Spielberg reprend le motif de l'introduction zénithale en se concentrant non pas sur un new York de façade abritant la réalité sociale, mais imediatres sur le quartier des Jets et des Sharks, en destruction suite à un plan de modernisation urbain. Si "WSS" version 61 s'imposait directement comme une démonstration de tout ce que pouvait faire le Technicolor, Janusz Kamiński travaille comme à son habitude sur des nuances de gris illuminées, tout en ajoutant par petites touches des taches de couleurs vives au milieu de la pauvreté. En quelques secondes, Spielberg marque la demarquation entre l'œuvre sacrée et ce qu'il en voit : "WSS" 2021 appuiera beaucoup plus sur le territoire en lui-même, un territoire en péril pour tous les immigrés du quartier, polacks /irlandais / portoricains, et comment une guerre de territoire devient une lutte pour son foyer.
Le thème n'est pas nouveau, il faisait déjà partie de l'original, mais c'est là que la différence se fait : Spielberg conserve tout ce qui faisait le récit, mais appuie sur certains points qui faisaient partie du tout, déplace de quelques heures une chanson, développe un personnage qui était secondaire dans l'original. Aucune de ces modifications n'est faite dans le vide, tout est là pour servir la vision de Steven qui souhaite se concentrer beaucoup plus sur la question raciale et le conflit des gangs que sur l'histoire d'amour. C'est sûrement à ce niveau-là que les modifications me semblaient les plus nécessaires : j'ai toujours énormément de mal à adhérer à la seconde partie de la version originale, tant certaines répliques, certains comportements de certains personnages (compliqué de rester vague) me sortait du film.
Ici, en changeant simplement une ou deux répliques, et en appuyant la dramaturgie sur certains protagonistes, Spielberg créé une tragédie qui m'a semblé bien plus percutante et à réussi à me tirer les larmes. La contrepartie, c'est de marquer une coupure assez visible entre la version originale, plus abstraite dans son propos donc plus subtile pour certains, et cette version 2021 qui est un peu plus rentre-dedans, ne prends pas de gants pour parler des rapports conflictuels entre les divers groupes et protagonistes, et qui pourra en rebuter certains. Côté chansons, on ne touche à rien, même si j'avoue qu'une chanson exclusive enterrement en langue latine n'aurait pas été de refus, le film assumant déjà de ne pas sous-titrer les dialogues hispaniques.
Clairement côté casting, les femmes défoncent tout et le retour de Rita Moreno à qui on redonne une chanson 60 ans après l'original est un pur plaisir. Rien de honteux côté masculin, si ce n'est un interprète pour Bernardo qui peine à faire face à son interprète d'origine, et un Tony en sous-jeu par moment. Côté direction artistique et notamment photographique, j'ai déjà commencé à l'évoquer plus tôt, mais c'est du bon et du beau. Le travail de la couleur, des lumières, du mouvement notamment pour les chorégraphies est tout simplement excellent. Pour un Spielberg qui s'attaque pour la première fois au registre de la comédie musicale, il sublime chacun de ses codes et ne se retient jamais d'oser le moindre mouvement, créant une énergie des corps hautement électrique qui ne prendra fin qu'une fois le générique de fin.
Sans jamais effacer ni transcender l'œuvre original, Spielberg se donne le droit de nous proposer de voir "West Side Story" comme lui le voit, et le spectacle offert est à la hauteur de mes attentes. Sans jamais tomber dans l'effet doudou, cette version 2021 frappe en réutilisant cette histoire de plus de 60 ans pour nous montrer qSpielberg démontre définitivement comment on peut aborder le passé sans tomber dans la facilité, et entre une fiction librement inspirée de son enfance, et l'envie de faire un western à l'ancienne pour la première fois de sa vie, l'avenir semble radieux.