Pourquoi aujourd’hui tenter un remake d’un tel monument? Disney serait à la commande, réponse serait donnée. Mais là un réalisateur, et pas des moindres, amoureux de cinéma, du cinéma dit de « patrimoine » (calamiteuse dénomination).
Une piste, que pouvait suggérer ce souci d’un casting plus « respectueux » (ce qui n’est pas forcément productif d’un point de vue artistique), insuffler une dimension plus documentaire dans la restitution du contexte social. Et bien non. Spielberg ne manifeste pas cette exigence, hors à sacrifier systématiquement certains effets de réalisation peut être jugés aujourd’hui désuets (ces filtres devant la caméra, ce travelling fusion de Maria, le somptueux décors chargé de couleurs de la scène de combat, qui faisaient parfaitement matière dans l’oeuvre originale). Au terme de la projection, il est en fait impossible de dégager le moindre élément, choix qui ait pu justifier cette reprise dont le seul triste but semble donc d’amener ce film, de le mettre à portée d'une nouvelle génération. Triste ambition, constat. Qui s’il n’est pas fondé, est bien désobligeant pour la dite génération. Qui s’il l'est …..
La nouvelle génération de spectateur n’est surement pas pire que celles qui l’ont précédées. Elle se voit en revanche offrir une offre si démesurée de produits servis un plateau, qu’elle n’est jamais conviée, contrainte à faire un effort. Qu’elle se laisse glisser plus facilement de le « confortable » état de celui que se fait gaver comme une oie de produits génériques parfaitement calibrés par les équipes marketing (on ne ferait plus aujourd’hui 2h de queue pour voir un « 2001 » ).
Un choix radical, fort, et d’une tristesse bien décourageante : ce générique de Saul Bass dont Spielberg, qui doit pourtant placer cette audace au plus haut dans son panthéon, sait qu’il ne peut pas «l'infliger » au spectateur d’aujourd’hui (qui considérait le film comme non commencé, qui profiterait de ces quelques minutes pour glisser quelques like à quelques publicités (on dit aujourd’hui videos d’influenceur)).
Hors cette déception qui n’est pas une surprise, au constat que Spielberg renonce à proposer autre chose (de la matière « documentaire » par exemple), on en vient vite à glisser au jeu déplaisant des comparaisons. Et là le constat est …… .
Si le traitement des scènes dramatiques profitent peut être parfois d’un lifting légèrement favorable, le bas blesse au traitement de l’essentiel. Les scènes de danse/chant. Jamais Spielberg, malgré tous ses moyens, ne parvient à se hisser au dessus des traitements originaux (hors la scène de balcon, plus dynamique dans le jeu de caméra). Il ouvre certes ( au produit des moyens offerts aujourd’hui) certaines scènes à un traitement plus ample, comme América, qui en impose assurément plus en terme de mise en scène. Mais cette ouverture se fait toujours légèrement au détriment de la captation de la chorégraphie, qui en devient moins lisible.
Le miracle de la version originale tenait au choix de ses géniteurs. Un faiseur, très appliqué, un artisan très noble de cinéma, prêt à se mettre au service de son binôme, un chorégraphe et metteur en scène, celui là même du spectacle original. Hollywood, même si le genre périclitait, avait un savoir faire à transmettre. Mais ce que ces deux hommes ont alors accompli était tout autre. Une revitalisation du genre. En témoigne une séquence, qui dans le film original avait été déportée (tour de passe passe) en fin de film (parce leurs auteurs savaient qu’ils tenaient là quelque chose de démesuré, qui devait pointer au bon moment dans la dynamique ascendante du film). Cette séquence, aujourd’hui iconique, inégalée, inégalable, était la démonstration de l’accomplissement des deux hommes, de la puissance de la réflexion qu’ils avaient conduite. Montage et chorégraphie qui ne vont pas bien ensemble (à chaque coupe, on est presque certain d’interrompre un geste, une dynamique, à fracturer un enchainement) étaient enfin mariés pour le meilleur. Une claque totale. Et là Spielberg, tout simplement capitule. Il n’affronte même pas le monstre (avec surement pour mot d’excuse de respecter le montage dramatique original). Il délivre juste … rien en vis à vis de quelques minutes de perfection qui constituaient presque l’aboutissement de film premier. Le spectateur au fait de ce premier opus est alors laissé en flottement. Il décroche un peu alors que jusqu’ici, malgré quelques réserves, il ne boudait pas, soyons honnête, son plaisir (parce que le grand écran, parce que Tony un peu plus incarné, et des choses ci et là).
Pourquoi aujourd’hui tenter un remake d’un tel monument ? Spielberg, en qui on voulait croire un peu, a qui on voulait donner une chance, n’apporte malheureusement aucune bonne réponse.
Si l’on conduit maintenant l’exercice factice d’ignorer l’histoire, de considérer l’oeuvre comme originale (ce sera le cas pour quelques spectateurs). Alors oui, Spielberg n’est assurément pas un manche (c’est un des plus grands réalisateurs à défaut d’auteur. Point). La caméra est virtuose [même si la virtuosité nuit un peu à la captation de la danse]. Les décors [un faste que ne pouvait pas s’offrir l’original] comme la photo sont somptueux. L’interprétation, si l’on considère la palette totale des acteurs/chanteurs/danseurs de très grande qualité [même si les seconds rôles n’atteignent pas le niveau d’incarnation d’une Rita, d’un George, d’un Russ, tous icônes]. Les chorégraphies et la musique sont des merveilles. La trame dramatique exemplaire. Et le générique de fin de toutes beautés [lui pour le coup sublime et écrasant la belle proposition originale]. Indiscutablement un très beau film. Ce que peut aujourd’hui « Hollywood » (ce qu'il en reste) de mieux.