Entre beauté plastique indiscutable et prétention exacerbée, le dernier film de cinéaste italien Paolo Sorrentino, présenté à Cannes en mai dernier, aura divisé, et pas des moindres. D’aucun s’émerveille à la fois sur la beauté visuelle de Youth, son ton mélancolique qu’il s’agit de dompter, alors que d’autres exècrent les mimiques orgueilleuses d’un metteur en scène qui ne sait ni de quoi il parle ni vers quoi il se dirige, filmant la métaphore comme la plus faste de publicités. Curieusement, je me situe moi-même quelque part entre ces louanges et ces fustigations. Paolo Sorrentino n’est certes pas le moins prétentieux des metteurs en scène, se voulant le successeur des grands cinéastes italiens du siècle passé, ce qu’il n’est vraisemblablement pas. Certes son film ne raconte finalement que peu de choses, vitrine béatifiante d’un univers de nantis ou évolue deux compère d’âge avancée, desquels le réalisateur tente de dresser le portrait psychologisant. Mais, pour autant, Youth n’est jamais vraiment désagréable, empreint d’une furieuse volonté d’indépendance artistique. Un film sous le sceau de la stricte indépendance de son metteur en scène, que cela plaise ou non.
Bien installé consécutivement au succès critique de son précédent La Grande Bellezza, le réalisateur transalpin s’en retourne à l’international, troquant le formidable Tony Servillo avec deux grandes vedettes anglo-saxonnes, j’ai nommé Michael Caine et Harvey Keitel. Les deux comédiens, qu’importe l’estime que l’on portera à Youth au final, sont irréprochables. Leurs divagations sur les aléas de la prostate ou encore leurs propensions à s’apitoyer n’enlève rien à la très belle performance de chacun des deux acteurs, Michael Caine en tête, aussi charismatique qu’il ne l’a plus été depuis longtemps. On notera aussi les apparitions de Rachel Weisz, elle remplit sa part de contrat sans réellement briller, et de Paul Dano. Ce dernier, bien meilleur, semble apporter une touche mélancolique bienveillante à l’œuvre pompeuse de Sorrentino, venant opposer sa jeunesse douteuse à la vieillesse empoisonnée de ces deux congénères. Point d’orgue, son apparition grimée en Hitler, grand moment de dérision.
Pour l’occasion, le réalisateur choisit comme cadre un refuge champêtre pour la classe aisée, niché au cœur des Alpes suisses. Entre séance médicinale et détour au Spa, entre dîner classieux et bain de soleil en pleine nature, les hôtes du lieu, sorte d’arrière-cour au monde trépidant qui caractérise chacun, se veut un lieu de quiétude, l’endroit approprié pour se remémorer, se réorienter. Si maniéré soient Sorrentino et son directeur de la photographie, ils parviennent tout de même à livrer un panel d’image de toute beauté, à l’exception de quelques envolées pas toujours convaincante. Mais on ne pourra évidemment pas éviter le rapprochement entre Youth et une coquille vide, sur ce plan là. En effet, Sorrentino semble d’avantage se concentrer sur la livraison de toutes belles images que sur la narration de son film, une narration qui passe au second, voire troisième plan.
Drôle de film, en effet, que ce pamphlet métaphorique parfois présomptueux, parfois vulgaire, mais toujours indépendant de toute considération extérieures. En dépit de bon nombre de défauts, il n’en reste pas moins que Youth offre aussi d’excellentes choses, comme cette séquence entre Keitel et Fonda, remise en plat des valeurs élitistes de celui qui incarne un cinéaste en perte de vitesse. Oui, Sorrentino, qu’on peut apprécier ou pas, démontre qu’il se moque des regards extérieurs, quand bien même sa vision des choses n’est pas foncièrement louable. C’est sans doute cela qui manque à beaucoup d’artisan du cinéma, une indépendance. 10/20