C'est un chef d'oeuvre au sens premier du terme, c'est à dire une oeuvre artistique parfaite, qu'on l'apprécie ou pas, qu'on y soit sensible ou pas. Comme un tableau de Picasso on peut aimer ou pas, c'est une question de ressenti personnel, mais l'oeuvre est là, avec sa technique maîtrisée, son expressivité, son message, l'impression qu'elle inscrit en nous. Deux amis de toujours, l'un musicien compositeur, l'autre cinéaste, partagent des vacances de remise en forme en Suisse dans un établissement de luxe. Tous deux sont marqués par la vie et le temps qui a passé, par la vieillesse qui s'est invitée presque sans prévenir, avec un fond de désespérance. Malgré la réussite professionnelle et matérielle les deux amis sont ravagés par des blessures et des souffrances intimes, un sentiment d'échec peut-être, de naufrage personnel, à l'instar de tous ces clients de l'hôtel, tristes et comme figés dans le formol de leur propre désespoir, de leurs secrets. On dirait - allez, j'ose - la dernière année à Marienbad. Les images à l'esthétisme sublime, la perfection colorée mais sans vie du paysage suisse, le mortel ennui que ne parviennent pas à dissiper les jolis divertissements proposés par l'organisation, font peser sur ce décor de rêve une chape de plomb. Mais le plomb est dans le cœur et l'âme de ces êtres égarés et solitaires. Nos deux amis, par leurs échanges, leurs réflexions et la vie, la jeunesse qui, au fond, ne les a pas quittés, échappent un peu à toute cette splendide noirceur. La jeunesse, celle qui s'en va, semble-t-il, celle qui arrive et interpelle, apportera la réponse à toutes ces angoisses. Elle prendra la forme d'un petit violoniste dont tout l'avenir se trouvera transformé par un simple changement de posture. Elle s'exprimera, comme une vérité sortant de la bouche des enfants, par les paroles d'une petite fille blonde: tout le monde s'efforce de faire au mieux mais personne n'y parvient, alors, avec un grand sourire, ce n'est pas grave n'est-ce pas? Et par l'intelligence d'une miss univers à l'âme plus belle encore que son physique de rêve: il n'est d'autre bonheur que celui qui est à portée de la main. Elle est pleinement heureuse d'être miss univers. La jeunesse qui couve au fond de notre cœur, la vie qui nous a meurtris et nous meurtrira encore - mais c'est la vie - sauveront-elles les deux amis? Pas sûr que le message arrive à temps pour sauver le dernier film "testament" du cinéaste. Car la vie ne tient qu'à un fil, comme celui qui tient ensemble la famille royale d'Angleterre devant laquelle notre compositeur musicien reprendra finalement sa baguette pour interpréter une oeuvre toute simple. J'ai aimé la dernière image: la vie est un film, notre film qu'il nous appartient de cadrer selon notre point de vue, avec joie.