En lisant le synopsis, "deux septagénaires discutent dans un hôtel", on n'a pas franchement envie de se précipiter dans la salle... quant à l'affiche, elle laisse présager un truc du genre "Le coeur des hommes" ou une comédie un peu vulgos pas très alléchante non plus... et pourtant, on risquerait de passer devant un beau bijou.
Que d'émotions dans la salle, dans mon coeur, dans mon ventre et dans mes yeux pour être plus précise... et ça tombe bien car c'est le sujet, le coeur du film. Mais la gageure est de susciter de l'émotion sans l'envoyer lourdement, en grand pathos dégoulinant, ou sans grand discours dessus.
La mise en scène est magistrale et toute la beauté et la subtilité du film est dans le rythme (eh beh oui, ça va bien avec le personnage principal qui est maestro et compositeur retraité) extrêmement fin, subtil et délicat : rythme du montage des images bien sûr, très précis tout en alternance de scènes cut, et de moments où on prend son temps, et surtout sans se regarder filmer. Ainsi, les plans très composés en tableaux mi réalistes mi chorégraphiques de la vie de l'hôtel contiennent à la fois humour et sublimation : des corps suant en silence dans un sauna, une queue de pensionnaires en peignoirs et les petits travailleurs s'affairant à mettre en place la salle repas - et pourtant, on passe ensuite 4-5 minutes en plan fixe sur la fille du maestro qui balance à son père un bilan acerbe sur son manque de considération tout le long de sa vie, une vraie performance : la caméra, comme le père invisible alors comme nous ne bougeons d'un poil.
Mais ce qui rend encore plus profonde l'émotion, c'est la maitrise de la bande sonore et toutes ses composantes, pensée en harmonie ou en contraste avec l'image et qui parvient à nous faire respirer au rythme du réalisateur. C'est le son qui rend plus aigue l'émotion, quel qu'elle soit et il me semble que jamais son et image n'ont semblé tant coller et cela sans clipper le film. Le son du mécanisme qui permet de descendre les tables de massage contraste avec l'image qui rappelle celles des films d'alien ou d'horreur : le corps de la fille emmitouflé dans sa carcasse d'argile lui donnant des allures d'extra-terrestres laisse apparaitre le corps du père qui vient de se faire assassiner verbalement.
Comme si le réalisateur avait appuyé sur un bouton, les larmes ont instantanément coulé grâce à la juxtaposition de
l'image de la bouche de la soprano et de la bouche ouverte de la femme décédée quelques secondes trop tôt, unie par la musique de l'Air simple composée pour l'une et chantée pour l'autre
. Toujours concernant la bouche, la succession avec un cut sonore
du chant d'une chanteuse de variété et de cette même chanteuse croquant une cuisse de poulet déclenche cette fois le rire
.
Epousant parfois le regard de l'acteur étudiant son rôle, l'environnement a priori peu enthousiasmant d'un centre de vacances / cures se sublime sous l'oeil de la caméra qui révèle la beauté de chacun, y compris de la masseuse aux oreilles décollées et à l'appareil dentaire.
Les personnages sont complexes et on est souvent pris à revers : la danse de ce jeune corps si belle se trouve être finalement
la reproduction de la danse d'un jeu sous Wii
et le maestro apathique dirigeant d'une main et d'un regard de statue son orchestre
congédie stoïquement l'ambassadeur de la reine en révélant à l'anglaise son fonds romantique
.
Un très bel éloge de la tendresse que l'on est invité à regarder tantôt de manière amusée et tantôt de manière beaucoup plus profonde. Cette alternance de ces deux regards complémentaires crée une instabilité du spectateur qui se fait prendre au débotté par un moment poétique puissant car il était quelques secondes avant sans défense, détendu par de nombreuses notes d'humour.