S'il y a une sorte de génie commun de l'image qui court à travers le cinéma espagnol, que dire du cinéma italien -très en retrait actuellement mais qui avec Paolo Sorrentino vit toujours comme au temps des plus grands: Fellini, Risi, Scola.....
Il n'est pas si vieux que cela, Sorrentino, comment fait il parler si bien du temps qui passe et du temps qui reste? Déjà, ce thème était au cœur du génialissime Grande Bellezza.... Dans Youth, il brode avec un art inouï autour des façons d'affronter -ou plutôt de refuser d'affronter- le temps qui passe: arrêt sur image -l'avenir n'existe pas ou fuite en avant -le passé n'existe pas...
Fred (Michael Caine) et Mick (Harvey Keitel) sont des amis de soixante ans; il y a soixante ans, ils ont été amoureux de la même fille; et soixante ans plus tard, ils se posent toujours la question de savoir si l'autre a couché avec elle -ou pas.... Leurs enfants se sont même mariés, sauf qu'au moment où le film débute, le fils de Mick vient de lâcher d'une façon parfaitement inélégante Léna, la fille de Fred (la belle Rachel Weisz) au profit d'un boudin. Ca perturbe leur amitié? Pas tant que ça. Ils ont eu des femmes, des enfants, mais ils n'ont jamais été ni bon mari ni bon père parce que comme tous les créateurs, les grands artistes, leur vie était entièrement tournée vers leur profession, leur art, leur création. Des vieux égoïstes? Oui.
En tous cas, Michael comme Harvey n'ont rien perdu avec l'âge de leur pouvoir de séduction. Si l'un d'eux veut m'épouser, je suis là!
Fred et Mick se retrouvent dans un luxueux hôtel de remise en forme comme seule la Suisse sait en produire. Fred a été un grand chef d'orchestre, un compositeur reconnu et il ne fait plus rien. Il se paye même le luxe de rembarrer la Reine d'Angleterre qui souhaite l'anoblir au cours d'un concert où il dirigerait ses œuvres pour elle. A toute question il a une réponse toute faite: ma fille dit que je suis apathique. Que dire de plus.... Mais vous, spectateurs, vous comprendrez à la fin du film qu'il cache un secret -et probablement un lourd remords.
Au contraire, Mick est un réalisateur débordant d'énergie, et il a réuni autour de lui toute son équipe de scénaristes pour peaufiner sa prochaine œuvre qui sera son film-testament... Et la question de savoir si l'âge n'a pas émoussé son potentiel créatif, il se garde bien de se la poser.
Et voilà, c'est un patchwork de petites touches, de petits moments souvent cocasses au milieu de la pittoresque faune de l'hôtel: l'ancien footballeur vedette devenu monstrueusement obèse; le couple très chic qui se fait la tronche et n'échange jamais un mot (mais nous réservera peut être des surprise, qui sait?); la petite masseuse qui sourit tout le temps malgré son appareil dentaire et danse dans sa chambre devant des cassettes de chorégraphie; le professeur d'escalade attaché à l'hôtel qui, au vu de la clientèle, ne doit pas avoir énormément de travail; le moine bouddhique qui lévite? ou pas? sans oublier le passage d'une Miss Univers extrêmement nichonnante qui transforme les deux vieux amis en loups de Tex Avery.... Et Jimmy! Jimmy, acteur venu s'isoler pour répéter, s'imprégner d'une future composition (quand vous verrez de qui il s'agit vous comprendrez qu'il fallait une sacré imprégnation....), jeune californien désespéré de ne devoir sa célébrité qu'à un rôle de robot dans un blockbuster alors qu'il a joué des rôles intellos dans des films indépendants, c'est Paul Dano, qu'on retrouve toujours avec plaisir et dont on s'émerveille qu'il puisse faire une telle carrière avec un physique... difficile. Quand il atteindra le cinquantaine et que le problème d'être mignon ou pas ne se posera plus, gageons qu'il sera un acteur que tout le monde s'arrachera!
Notons, le bref passage de Jane Fonda -en star chérie de Mick-, choucroute blonde et prothèses mammaires -littéralement monstrueuse, totalement fellinienne, sans doute ce que la pauvre Jayne Mansfied serait devenue une fois septuagénaire si elle avait vécu...
Moments cocasses, moments surréalistes, moments émouvants et grands moments de cinéma tout court -comme lorsque Fred dirige, en pleine nature, un concerto pour sonnailles au milieu d'un beau troupeau de Brunes des Alpes.... là, oui: c'est du Fellini! Le maître n'aurait pas trouvé mieux!
Alors, quand on se dit que ce grand film, ce film génial, personnel, profond est reparti de Cannes bredouille quand la palme est allée à cette daube poussive et indigeste de Dheepan, on se dit: zut! Est ce que le cinéma, le vrai cinéma, le cinéma plaisir est mort? Est ce que pour faire l'intéressant il faut tirer les grosse ficelles du mélo social? On ne comprend pas. Que les frères Coen aient cautionné ça: on ne comprend pas.
Vive le cinéma, vive Sorrentino, et courez y, courez y, courez y!!!