L’épreuve d’Erik Poppe s’empare d’un beau sujet, les contradictions d’une reportrice de guerre déchirée entre sa famille et son désir d’alerter l’opinion mais son héroïne trop froide peine à passionner son public. Dans la mise en scène se joue la même aporie.
Rebecca (Juliette Binoche) est une photo-reporter reconnu qui publie dans les plus grands journaux new-yorkais. Alors qu’elle suit un groupe de femmes kamikazes dans les montagnes afghanes, elle est victime d’une explosion. Après ce traumatisme, son mari, Marcus (Nikolaj Coster-Waldau, Jaime Lannister dans Game Of Thrones) ainsi que ses filles, Stéphanie (Lauryn Canny) et Lisa (Adrianna Cramer Curtis), refusent de la laisser repartir. Elle dépose sa démission mais le doute et l’envie d’en découdre l’assaillent.
Sur le thème de la photographie de guerre, Erik Poppe ne pouvait pas faire autrement que de soigner son éclairage et prendre particulièrement soin de l’esthétique du film. C’est ce qu’il a fait durant les scènes à l’étranger, au Kenya et en Afghanistan, véritablement cinégéniques. La longue mise en place introductive, où Rebecca multiplie les clichés des femmes terroristes, est singulièrement artistique. Les différents plans rappellent les plus belles œuvres orientaliste mêlant une atmosphère onirique avec l’omniprésence de la mort, comme un avant-goût de mille et une nuit. On gardera en tête, une scène saisissante où la future kamikaze subit un enterrement préparatoire. A contrario, le retour au pays est aussi morose et ennuyant pour la journaliste irlandaise que pour le spectateur. Mettant peu à profit les paysages magnifiques de l’Irlande, hormis quelques scènes au bord de la mer, Poppe filme l’essentiel de son long-métrage en intérieur. Une fois passé l’effet musée, la réalisation trop classique de Poppe estompe la beauté pour laisser place à la lassitude.
Au premier abord assez désagréable car elle semble dénuée d’empathie, Rebecca se dévoile peu à peu à travers le regard de sa fille. Son aventure afghane met mal à l’aise et pose les limites de l’éthique journalistique. Quand doit-on cesser d’être spectateur ? Rebecca est-elle investie d’une mission d’information sacrée ou se rend-elle coupable de complicité de terrorisme ? La question est bien sur éluder par sa carte de presse et son passeport étranger qui lui permette d’être rapatriée sans ennui. La jeune Stéphanie, interprétée avec justesse par Lauryn Canny, donne à sa mère un miroir dans lequel elle peut retrouver les sources de sa colère. La fillette ressent une profonde animosité envers sa mère mélangée à un amour sincère.Vivant dans la peur de la perte maternelle, Stéphanie va canaliser sa colère pour la rendre créatrice. C’est en se rapprochant de Rebecca, plus présente qu’auparavant, qu’elle va pouvoir appréhender que l’ire de sa mère est saine, comprenant désormais que son engagement professionnel va de pair avec une conscience politique constructive. L’épreuve nous pousse dans un premier temps à condamner Rebecca en tant que mère. Mais, pour nous, qui vivons sous le feu constant de l’information formatée et saluons les lanceurs d’alertes donnant à voir la face cachée de la forêt, la violence frontales des scènes kényanes nous ramène à nos responsabilité lorsque nous détournons les yeux de la misère. Et Rebecca la regarde en face.
Souffrant d’une mise en scène alternant moments de grâce et véritable longueur, L’épreuve vaut surtout pour le portrait complexe d’une femme au cœur de la tourmente humanitaire. A l’heure où une place grandissante est faite aux images détournées et falsifiées, il est fondamentalement nécessaire que des reporters comme Rebecca continue d’obliger les gouvernants à agir. L’épreuve, c’est un peu le penchant pictural de L’enquête, autre film important de cet année basé sur l’histoire vrai de Denis Robert, le pourfendeur de Clearstream.
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