Deux hommes pour un acteur. Helgeland (42, Payback) envoie promener un Tom Hardy prolifique sur les pavés anglais pour conter une aventure unie. Celle des jumeaux Kray, gangsters de la soixantaine londonienne, qui se permettaient de franchir bon nombre d’interdits après la création d’un réseau souterrain de commerce, qui les aida pour s’enrichir et pour dissimuler bon nombre d’affaires à Scotland Yard et à la justice. Jusqu’à un certain point. Tout commençait bien, pourtant, le scénario impose dès le départ sa face familière. Un décor de banlieue avec ses barres d’immeubles qui se ressemblent et qui se prolongent jusqu’à l’infini, un bar cossu et rustique comme point de rendez-vous, et cette atmosphère presque authentique, rendue argentique par les nombreuses oeuvres du même genre, dont le chef de file le moins contesté est et restera Scorsese, qui imposa un style, une démarche, mais surtout un tracé bien singulier qui virevolte entre les têtes à idées des scénaristes et de tous ces techniciens qui se battent chaque jour pour voir ces dernières apparaître à l’écran. On s’aperçoit dès la première apparition à l’écran de Tom Hardy, partagé entre ses deux formes, à la porte d’une caravane, l’astuce de mise en scène pour pouvoir permettre aux deux personnages d’être intégrés convenablement. On s’aperçoit au même moment de ces caractères ambivalents qui lient deux, puis trois caractères. Emily Browning, déjà remarquable dans « Magic Magic » mais qui s’était faite oubliée après avoir tournée dans un roman S.F lourd de par sa quantité de dialogues à l’eau de rose et de par ses acteurs pataugeant dans ces derniers tels des poissons morts (« Les Âmes Vagabondes », ou la preuve que Niccol déraille parfois pour offrir une soupe adolescente digeste mais mauvaise) ou dans l’aventure historico-ridicule signée Paul W.S Anderson (« Resident Evil », voilà voilà…) du nom de « Pompéi », et dans laquelle on retrouvait la même source de dialogues et de situations abracadabrantes aussi futiles que grossières. Sauf que voilà, elle joue ici l’épouse d’un homme important, trafiquant pour mieux être gangster, et son interprétation sensible et en même temps puissante ne laisse pas indifférent. Elle tire sur la bonne corde, elle rafraîchit une oeuvre souvent lente (surtout en son milieu) et à la technicité assez poussiéreuse et surtout bien peu renouvelée. Il y’a certes ces scènes de baston énergiques et attractives, dans laquelle on peut voir ce fameux Ronnie Kray se déchaîner sur des adversaires un peu trop caricaturaux et qui servent surtout de piliers de bar, voire même de béquilles lorsque le film marche un peu trop de travers et ennuie, tout simplement. Il y’a réellement un passage sous vide dans cette oeuvre, qui dure d’une vingtaine à une trentaine de minutes, et durant lesquelles on a la très mauvaise impression qu’il ne se passe… Rien. Que rien ne bouge, qu’on fait du sur-place, sensation encore plus ressentie avec ces décors qui restent collés à l’image et à notre rétine, ce qui aurait été une meilleure idée si le biopic aurait duré moins longtemps. Un moment sous vide, comme si toute l’énergie du film aurait été de l’oxygène emprisonné dans un ballon, et c’est lorsque que le Ronnie Kray ressort de prison et aperçoit des dégâts de son frère que celui-ci éclate. Autant le ballon qu’un Ronnie porté à bout mais toujours placé sous l’aile d’un amour investi et nourri par deux acteurs beaux, grandioses, qui réussissent à merveille leurs transformations et qui apportent à l’oeuvre tout son sel. Une scène de combat entre les deux membres de la famille Kray. Une scène aussi émouvante que réussie dans sa chorégraphie, deux âmes enfoncées dans un gouffre et bercées depuis l’enfance par les poings, les mauvais coups et puis la guerre. La guerre de territoires fait rage mais elle est pourtant placée au second plan, bien loin derrière ce casting qui réussit habilement le pari de nous faire oublier par qui il est gouverné. Au final, « Legend » est un objet cinématographique incomplet à cause de défauts multiples. Des défauts multiples que le réalisateur parvient à faire oublier hardiment tout bonnement grâce aux qualités qu’il y fait parsemer tout le long. C’est bon.