Je connaissais un peu Tran Anh Hung. Je l'avais interviewé pour un journal franco/vietnamien, il y a un certain nombre d'années. Il était alors dans une période professionnelle difficile. On lui demandait de tourner des clones de l'Odeur de la Papaye verte..... et il ne trouvait pas de financement pour d'autres projets. Or, partis du Vietnam dans des conditions difficiles, ses parents lui avaient tenu à peu près ce langage: nous n'avons pas choisi de venir en France. Mais maintenant que nous y sommes, nous allons être plus français que les Français, et pour commencer, tu seras premier en classe. Tran n'avait donc pas du tout envie de jouer le vietnamien de service. Il a donné d'ailleurs de son pays natal une vision bien noire dans Cyclo... Après, il y a eu un film japonais, à demi réussi; puis, cet étrange objet qu'est Eternité.
Oh, on comprend bien ce que Tran a voulu faire; d'une façon très ambitieuse, parler de la puissance de la vie. Celle qui, au Viet Nam, rebâtit après les typhons. Cette pulsion vitale qui fait qu'un homme et une femme s'unissent pour créer la vie; cette pulsion de toutes (les féministes vont glapir!) les femmes de porter la vie, d'avoir un ventre fécond et ainsi la vie se perpétue, malgré tout, en dépit de tout....
Seulement, la façon dont il l'exprime ne peut que laisser perplexe. On est dans un monde faux. Dans une nature luxuriante (dans le midi de la France sans doute.... où la présence de bambous et de plantes exotiques évoque irrésistiblement la riche végétation du Viet Nam, encore...), et toujours en été, (on chanterait Nino Ferrer...), dans un milieu où les femmes vêtues de mousseline n'ont rien d'autre à faire qu'à câliner leur progéniture dans le cadre de ces merveilleux jardins ou d'intérieurs luxueux, auxquels il ne manque pas un coussin, pas une pendule...(les pères doivent bien travailler de temps en temps, mais il n'en est pas question: ils sont toujours là!) Dans la première moitié du XXe siècle, trois femmes, Valentine (Audrey Tautou), épouse du beau Jules (Arieh Worthalter); la belle fille de Valentine, Mathilde (Mélanie Laurent) épouse de son fils Henri (Jérémie Renier); et enfin Gabrielle, (Bérénice Béjo), cousine de Mathilde et épouse elle même de Charles (Pierre Deladonchamps) qui vont toutes trois lapiner au delà du raisonnable avec une soif inextinguible de grossesse, d'accouchement qu'on finit par trouver.... quasiment pathologique, même quand on comprend ce bonheur qu'apporte une naissance.
Tout ce monde passe son temps à s'embrasser, à s'enlacer, à se toucher, à se câliner. Les enfants ne désobéissent jamais, ne se chamaillent pas, les petits garçons sont impeccablement coiffés et les petites filles n'ont pas une salissure à leurs robes de linon blanc....
Mariages, baptêmes, enterrements. Car on meurt aussi beaucoup, ce qui doit être conforme à la situation en France au début du siècle précédent. Embrassades, larmes.
Je ne comprends pas ce que Tran a voulu faire. Je ne connais pas ce livre d'Alice Ferney, l'élégance des veuves, qu'il a choisi d'illustrer. Ajoutons qu'il n'y a quasiment aucun dialogue, les situations étant commentées par la voix off de Tran Nu Yên Khê (madame Tran, si je ne me trompe), et le reste du temps occupé par des torrents de Debussy, Chopin, Fauré, et même Charpentier (Gustave...); le temps peut paraître long. Ce commentaire est extrêmement littéraire, surécrit -j'en extrairais cette belle et grave pensée de Valentine après son précoce veuvage "Valentine eût la vision claire de ce qui l'attendait: une vie très longue à regarder partir les autres sans pouvoir les retenir....[ ] il n'y a pas d'issue heureuse".
Je pense que le réalisateur est passé à côté, que le film est étouffé par ses décors, par ce miel et ces sirops qui l'engluent, et qu'on aimerait le voir retrouver la poésie simple et tranquille de ses premiers films: retournez, à vos sources, cher Tran!