Je veux bien entendre que qualifier un film de bon ou mauvais soit une affaire de subjectivité mais qu'en est-il des films ratés ? Parce qu'il y a une grosse différence entre un film mauvais et un raté, et Éternité appartient incontestablement à la seconde catégorie et, de mon point de vue, à la première également. Il raconte l'histoire de trois femmes qui, sur une période de 100 ans (non vous ne saurez pas de quand à quand exactement, après tout ce n'est que le pitch officiel du film, mais disons approximativement 1860-1960) vont aimer, se marier, fonder une famille (trèèès nombreuse et trèèèèès riche) et créer une généalogie. Le film, et c'est une bonne surprise qui m'a poussée à aller le voir, est donc ambitieux et très original, qualité rare pour un film français. Le traitement de l'image est splendide, parfaitement lisse et d'une constance lassante (le concept de saisons n'existe pas, les intérieurs sont beaux et ensoleillés en hiver comme en été) mais absolument magnifique sans compter les décors foisonnants et les superbes costumes. Les interprètes sont probablement excellents mais pour le vérifier il faudra revoir leurs filmographies respectives parce qu'ici le réalisateur semble avoir oublié de leur donner des rôles. Ni complexité, ni profondeur, les trois femmes sont interchangeables tandis que les hommes sont inexistants (fades diront les plus pragmatiques). Extrait choisi : Mathilde (Mélanie Laurent) et son mari Henri (Jérémie Renier) marchent au ralenti en souriant sous le soleil, activité préférée des personnages qui constitue environ la moitié des scènes de ce film.
La voix off, omniprésente et rapidement gonflante déclare les légers doutes que Mathilde au sujet de son récent mariage : Henri est un homme bon mais strict qui peut à l'occasion se montrer sec, voire cassant.
Très bien. Peut-être pourrait-on n'avoir ne serait-ce qu'une scène qui traduise ce trait de personnalité ? Nop, c'était juste une tentative maladroite de donner de la substance à un personnage qui n'en a tout simplement pas mais comme ce n'est pas le sujet du film, hop ça passe à la trappe. Charles (Pierre Deladonchamps) pourra lui aussi essayer d'exister le temps d'une scène où il exprimera (cette fois-ci de sa propre voix) les deux qualificatifs qui doivent suffire à faire un personnage selon le réalisateur (doux et secret).
Scène d'autant plus audacieuse qu'elle sera la seule à évoquer frontalement le mariage arrangé tout en se fendant d'un "l'amour viendra" bien senti
. Super.
Et alors là vous vous dites : mais le sujet du film ce n'était pas les femmes ? Mais si mais si ! Le problème c'est qu'elles sont, dans la mesure du possible, encore moins intéressantes que leurs maris. Je m'explique, l'idée, que dis-je, le scénario de ce film tient en une ligne : joie de l'enfantement, douleur du deuil. C'est tout, le reste n'a que peu d'importance. Du coup, malgré le fait que le film se déroule sur un siècle, les rapports entre les personnages sont les mêmes puisque qu'est-ce que le temps face à des émotions si transcendantes ? Postulat ô combien casse-gueule dans lequel le réalisateur se vautre admirablement en ronronnant de plaisir. Car non seulement les personnages gardent le même rapport à la famille durant un siècle mais ils restent également cantonnés au XIXème siècle. Les scènes ne dépassent jamais le cadre de la famille et ne s'aventurent à l'extérieur des grandes propriétés que
lors d'une tragique virée à la plage et pour les enterrements. Vision joyeuse de l'ouverture au monde.
Les hommes occupent des postes dont nous ne sauront rien tandis que les femmes enfantent et tiennent la maisonnée. Pourquoi pas après tout puisque la maternité épanouie est le sujet du film sauf que cette absence d'évolution des mœurs pour un film qui se targue de s'ancrer dans l'Histoire laisse au mieux perplexe, au pire passablement énervé. D'autant que ce confinement autour de la famille heureuse teinte l'ensemble, déjà nauséabond, d'un air tenace de ringardise. Les trois personnages féminins peuvent alors se contenter d'être des poules pondeuses puisqu'elles ne seront caractérisées par rien, mais alors RIEN d'autre, à aucun moment,
parfois même jusqu'à en mourir.
Les actrices, au centre du projet, n'ont donc qu'à se contenter d'alterner visages extatiques devant les bambins et masques de peine devant les cercueils sous le regard indifférent et vaguement somnolent (ah oui parce que j'ai pas précisé mais c'est looooooong) du spectateur.
En résumé je dirais que c'est un film raté car il manque tous ses objectifs : il voudrait être épique, il est soporifique, il se voudrait passionné, il est lénifiant, il s'espère audacieux, il est prude, il aimerait être proche des femmes, il est misogyne. C'est un film aux visées amples mais aux résultats atrophiés, un film sur la vie qui sent le formol, où chaque minute passée semble durer des heures, et chaque heure, une éternité.