« Eternité » film contemplatif, film tableaux tant la photographie est léchée et donne des séquences comparables à des peintures de maîtres ; film littéraire par la voix off qui semble lire un livre ; film mélomane tant la musique classique qu’elle soit jouée à la guitare par Jules (Arieh Worthalter) ou au piano est omniprésente et semble être le personnage principal de ce film… avec la voix off ! En soi, un film classique, non pas dans sa forme, mais dans ses valeurs : oeuvres d’art (décoration, accessoires), musique classique et littérature. Il n’y a rien d’ironique et pourtant, je l’ai été après cinq minutes de film. « Ce film va me paraître une éternité à vivre ! » me suis-je pensé. Je me donne encore une dizaine de minutes et je me casse, car si c’est ça l’éternité, je crains pour mon Au-delà ! Ce film est dénué d’enjeu, il se contente de raconter le quotidien d’une famille de la haute bourgeoisie du Sud de la France qui s’étire du XIXè siècle à aujourd’hui. Un éternité, quoi ! Et encore, quel quotidien ! Une Valentine (Audrey Tautou) qui enfante, qui passe son temps à caresser ses enfants, à les voir grandir, à les voir danser, à jouer du piano, à leur sourire. De temps en temps elle pleure après la perte d’un enfant. Que dis-je ?
Cinq si j’ai bien compté : un bébé, un jeunot, deux jumeaux partis à la guerre et une fille, de maladie.
Même dans la déception, elle garde le sourire quand une autre de ses filles désire se retirer dans un couvent. Mais allez savoir pourquoi, quand arrive Mathilde (Mélanie Laurent) la belle-fille de Valentine, je n’ai plus été moqueur ni dissipé. Non pas en raison de Mélanie Laurent, mais parce que j’ai soudainement pris conscience que le relais passé de Valentine à son fils Henri et à Mathilde me sensibilisait contre toute attente. L’âge certainement. Valentine s’efface au profit d’une nouvelle génération. Ainsi je comprends que petit à petit se construit l’arbre généalogique d’une famille. A bien y regarder, en toute objectivité, il serait légitime de ne pas s’intéresser à ces familles. Le réalisateur le dit : « Les images de ce film ne sont pas faites pour raconter une histoire mais pour créer un flot de situations esquissées, entrainé par le temps inexorable… » Ca me rassure ! Donc, je m’intéresse à la suite, à cette Mathilde qui comme sa mère va de nombreuses fois enfanter comme son amie d’enfance, Gabrielle (Bérénice Bejo). Leurs enfants vont se mêler les uns les autres. Le malheur viendra frapper et Mathilde et Gabrielle
comme la perte d’un enfant
;
Mathilde mourra en donnant la vie et Gabrielle perdra son mari.
Le récit se contente donc de répéter des situations : enfanter, regarder ses enfants grandir, les caresser, les aimer tout simplement. Tout ça dans de beaux décors, sous un ciel d’azur. Mais est-ce pour autant un film ? Que nous apporte ce récit lu ? A bien y regarder, l’essentiel : aimer. Oui et si c’était ça l’essentiel d’une vie. A bien y regarder, le réalisateur ne nous dit rien des activités professionnelles d’Henri et de Charles. Ce n’est pas important. Henri et Charles sont dans la maison pour voir grandir leurs enfants, caresser leur épouse, être tout simplement près d’eux. Si c’était ça aussi l’essentiel : passer du temps avec sa famille. Ne pas se laisser bouffer par le travail, pour ne pas être irritable parce que fatigué. Le réalisateur occulte toute autre activité quotidienne des mères comme s’occuper du jardin, coudre, tricoter. Pas plus qu’on ne les voit autour d’une table en train de manger. Il va à l’essentiel : aimer leurs enfants. N’est-ce pas l’activité primordiale ? Le réalisateur ne s’embarrasse pas plus de nous montrer quelques plans de serviteurs, car nécessairement, il doit y en avoir. L’essentiel : les mères et leurs enfants. Enfin, Tran Anh Hung évite toute colère, tout conflit que ce soit entre mari et femme et parents et enfants. Tran Anh Hung s’est focalisé sur un récit lisse, poli, délicat, sans aspérité, ponctué de douleur suite à la perte d’un proche ; et là encore, la douleur est aussi lisse, polie, maîtrisée. Pas trop d’effusion, de rage. En soi, le réalisateur va à l’essentiel : la vie et la mort. Le reste n’est que futilité. Même les émotions sont contenues. Tout est à l'économie ! C’est aussi un film sur le temps. Se souvenir du temps passé. Ainsi après la disparition d’un enfant, d’un mari, on a droit à des flash-back assez émouvants, des petites madeleines de Proust baignées dans une lumière chaude et apaisante. Ce rappel à ce passé souligne combien le temps défile et que le temps présent doit être savouré. Ici et maintenant. C’est ce à quoi s’applique le réalisateur en nous offrant des plans qui peuvent paraître interminables (caresses, des regards tendres et radieux). « Eternité » c’est « Ô temps suspends ton vol ». Il n’empêche, il faut être sacrément couillu pour produire d’une part ce film et d’autre part le proposer en salle. Il faut sacrément croire en son projet pour décider de mettre en branle un tel film. Avoir une dose de mégalomanie pour aller au bout de son propos tout en sachant qu'il divisera plus qu'il ne ralliera. Le souci : faire un film c'est penser aux autres, pas penser à soi. C'est avant tout un partage. Est-ce réussi ? J'en doute. C'est pourquoi, je comprends que cela puisse irriter, décourager ou générer de la déception pour ne pas dire des rires méprisants de la part des spectateurs. Car il faut bien reconnaître que les dialogues étaient assez décevants voire à la limite du confondant. Seuls les propos de la voix off me semblaient plus relevés. La gestuelle des interprètes paraissaient parfois trop travaillée, manquant de naturel ; Gabrielle, par exemple, le soir de sa nuit de noce, dépose son voile sur un paravent dans un mouvement accompagné du bras et des yeux avec la grâce d’une danseuse en tutu. « Eternité » est un film assez éprouvant mais si on fait preuve de patience, de bienveillance, il peut faire écho selon sa sensibilité.