Parfait équilibre entre émotions, rires et questionnements, "Captain Fantastic" a vu tout juste et parle, plus que jamais, de cette ère que nous vivons. Aux accents d'"Into the wild" et de "Little Miss Sunshine", Matt Ross dévoile à son tour cette Amérique tourmentée, marginalisée, confrontée à son système vicieux et qui semble sans issue. Ainsi, l'utopie qui nous est présentée au départ - un père et ses enfants vivants au milieu des bois en totale autonomie - nous rappelle un peu les romans américains du début du XIXème siècle, de cette Amérique un peu mystique, profonde, secrète et irréelle que décrivaient si bien Hawthorne, Melville, Poe ou encore Twain. Puis l'utopie se fracture d'un coup d'un seul par la mort. Les certitudes s'effondrent, les espoirs se perdent et les interrogations naissent. Est-il réellement possible de vivre ainsi toute sa vie ? Loin de tout, loin de ce système, certes corrompu mais nécessaire semble-t-il, loin des autres ? Les liens mis à rude épreuve se fracturent quand la réalité refait surface et que le monde les rappelle. On retrouve subitement cette société égoïste, pleine d'assurance si bien qu'elle en devient caricaturale. Comment ne pas penser au sarcasme de Burton quant-à cette société, au scepticisme de Brian De Palma par rapport à cette Amérique qui s'est toujours cru supérieure et sans failles, comment ne pas jubiler avec Christopher McCandless quand on comprend ses espérances et ses désirs profonds ? Le tableau brossé par le réalisateur est sans appel et nous touche en plein cœur lorsque petit à petit on constate la misère et le désespoir de ce père (porté par un Viggo Mortensen sublime) qui sent que la situation lui échappe, que ses propres enfants à qui il a tout appris lui filent entre les doigts, comment cette société implacable les rappelle en son sein, les enterre comme leur mère qui ne le voulait pourtant pas. Mais jamais Matt Ross n’abandonnera ses idées et son propos, jamais il ne laissera ses illusions de côté au profit du conformisme qu'il dénonce, c'est tout juste s'il tentera de trouver un équilibre entre deux mondes que l'on ne pourrait pas associer convenablement. Le plus beau message de ce film réside dans cette scène - qui aurait de quoi surprendre si tenté que l'on prenne le film en cours - où la famille fête la mort en chanson, unie, réunie, libérée, désenchaînée aux liens qui ont failli l'étrangler. Moment de jubilation pour les personnages autant que pour les spectateurs. "Captain Fantastic" est une merveille, si rare, si précieuse, si intense qu'elle ne mérite pas d'être vue par des yeux trop désapprobateurs, ce serait l'égratigné, ce serait lui faire perdre cette innocence et cette candeur si indispensable à notre époque. Ce n'est pas un film qui fera date, ni au cinéma, ni dans les journaux, pas même dans les esprits, mais qui a laissé cette petite pointe de bonheur dans le cœur de ceux qui l'ont vu et pleinement apprécié pour ce qu'il est : une utopie familiale, friable, pleines de doutes qui interroge profondément le système sociétal qui nous est imposé et qui nous tend les bras, comme deux grands-parents plein d'amour et de tendresse pour des petits-enfants qu'ils ne voient pas assez souvent. Comment ne pas succomber ? Comment résister à l'appel de cette douceur ? On finit tous un jour par se rebeller contre ce père omniscient, autoritaire, sûr de ces certitudes. Et s'il s'était trompé ? "Captain Fantastic" répond à ces questions, tout en finesse, tout en douceur, en subtilité, en infimes joies et terribles tristesses qui traversent la vie de chaque homme.