Ce que je reprochais à Alabama Monroe, c'était d'appuyer sans arrêt son pathos. D'une part, l'écriture soumettait les personnages à un destin impitoyable, de l'autre, l'esthétisation soignée du long-métrage était tout entière au chevet de son duo central, guidant presque de force le spectateur vers une attitude compatissante que ne pas adopter aurait l'air d'être criminel. La beauté qu'essaie de dégager Alabama Monroe, en fait, prenait par la main ses personnages, leur donnant même un rôle à jouer en tant que chanteurs et images de la fugace beauté de l'être humain. Toute la démarche esthétique du film consistait alors à conjurer le sort de ses personnages de façon ostentatoire, détournant ainsi le regard des bases pures du scénario dans un geste roublard qui cherchait à en atténuer les excès en les nappant d'un fard trop brillant pour ne pas être réel. Dans Belgica, rien de tout ça ; oui le scénario peut parfois pousser un peu loin (les rails de coke s’enchaînent un peu trop, les personnages foncent tout droit dans des pièges un peu trop visibles, affichent des failles un peu trop profondes...) mais la mise en scène réussit parfaitement le tour de force de donner une vie véritable à l'ensemble. Comme toujours chez Van Groeninguen, elle est très esthétisée, mais son décorum chargé et imagé dessine superbement les aller-retours incessants du rêve qui recouvre une réalité glissante, insaisissable. Parce que l'idée même du Belgica est un rêve ; celui de concilier le besoin de relations intimes tout en gardant un lien fort avec le reste du Monde, se persuadant qu'il bat à notre propre mesure. Fuyant la sensation malheureusement ordinaire que leur existence n'est qu'un îlot de plus au beau milieu d'un gigantesque océan d'indifférence, les personnages tentent de construire, ils le disent, leur propre arche de Noé. Mais, piètres navigateurs parce que trop humains, ils se heurtent à un écueil lui aussi terriblement réel ; le navire se saborde de lui-même, parce que chacun à son bord suit son propre compas. Souvent dur, Belgica sait pourtant s'achever par un constat doux-amer, où chacun goûte d'autant plus la défaite qu'elle lui gâche la plénitude d'une victoire, mais où tout le monde parait avoir appris. Ce faisant, elle évite de s'enfermer dans un goulot qui en ferait un mélo clos sur lui-même, un récit voué à s'achever avec son générique. Le final, je trouve, ouvre une perspective assez juste sur la vie, même si elle a pu être amenée avec emphase par moments, et prolonge vers le spectateur cette certitude innée qu'on aimerait parfois éluder ; quand on ne se heurte pas à ses propres contradictions, c'est contre les désirs de nos proches que les nôtres s'abîment parfois. Si le constat est si incontournable, c'est aussi, comme le rappelant si bien les purs moment de vitalité du film, parce que nos consciences modernes ne savent pas concevoir le bonheur sans en retirer l'idée de perfection. Reste alors de par les souvenirs les enseignements qu'on peut tirer de ce dont ils témoignent, mais aussi et tout simplement, la beauté intense et pas encore évanouie qui les a figés un instant.