Attention, révélations sur le dénouement de l'oeuvre.
J'éprouve une certaine fascination à l'égard de la carrière de Tom Cruise : si les acteurs de sa génération sont, pour une part, tombés dans la disgrâce ou peinent à tourner dans des films leur offrant des rôles principaux, il a su ne pas les imiter. Pour contrer cela, Tom Cruise est devenu producteur, et s'il peinait à intéresser le public avec quelques déceptions simultanées (Jack Reacher : Never Go Back et La Momie), le succès de Mission Impossible depuis la refonte de la saga (le quatrième épisode l'a complètement réinventée) assure à l'acteur une visibilité internationale unique.
Entre deux films d'espionnage, il produisait donc Barry Seal : American Traffic, film sur un aviateur jouant un rôle de mule auprès des Cartels d'Escobar, et d'informateur pour l'Amérique. Destinée à l'Américaine dénonciatrice d'un état qui sacrifie l'homme pour ses intérêts personnels, et laisse tomber l'outil après usage : Barry Seal représente cette nouvelle vague de biopics bigger than life, oeuvres sarcastiques nous présentant des vies peu connues du grand public.
Comme ses prédécesseurs, il romantise le tout et fait passer son personnage pour le héros de l'histoire, et comme tout bon film américain, critique l'Amérique, mais pas trop. C'est donc engagé, de moitié; ironique, mais sympathique. Tom Cruise est une enflure, mais son sourire rattrape le mal qu'il cause; dans le soucis de respecter son image de marque, il s'éloigne forcément de la réalité, jouant plus Tom Cruise le quinquagénaire beau gosse que Barry Seal le trafiquant un peu plus mauvais et mafieux.
Son Barry Seal, film très sympathique (tout autant que son protagoniste), prouve une nouvelle fois que Cruise reste l'une des références de sa génération, principalement du fait qu'il arrive à se réinventer au travers de ses rôles, tout en gardant sa personnalité. On voit Tom Cruise jouer Tom Cruise, avec de nouvelles nuances d'interprétation pour ne pas avoir de sentiment de répétition, au contraire de la Momie ou d'une suite de Jack Reacher. A voir, c'est un divertissement des plus honnêtes, et plutôt rafraîchissant au milieu de tous ces blockbusters qui se prennent au sérieux, sans se dire qu'ils devraient au moins se moquer de leurs trop nombreux défauts.
En acceptant le ton du film, gai, sarcastique (la blague sur le Nicaragua était très placée), ironique et impeccable, viré de toute goutte de sang, on apprécie finalement cette version américanisée d'une triste vie, mais fort sympathique et très dynamique. On le suit avec plaisir jusqu'à la venue de l'inévitable drame final, respecté à la lettre même avec Tom Cruise en rôle principal; un climax offrant une autre qualité au film, qui s'il était, jusque là, un peu trop lisse et propre, se conclue de manière soignée, stylisée et brutale, avec une fin réaliste et proche de la réalité, où Cruise ne sourit plus.
Au final, Barry Seal est un film très curieux : maîtrisé, bien rythmé (même si quelques lenteurs se font sentir), il affiche des couleurs type filtre Instagram quelque peu gênantes, tant elles gâchent la beauté des décors et des paysages, rendant le film superficiel, artificiel, sans pour autant le faire devenir plat et sans saveur. C'est cela qui surprend; on pourrait d'ailleurs y voir une sorte de représentation de la personnalité de Seal, qui, quand il est aux côtés de sa famille, est porté par une photographie sobre, belle et bien gérée dans ses éclairages et ses couleurs, tandis qu'elle vire à la simplicité des filtres, à n'utiliser que deux ou trois couleurs dominantes pour mettre en image le milieu superficiel de la mafia, où tes amis du jour deviennent tes ennemis à mort pour un pas de travers.
Il y a, dans la manière décomplexée de Doug Liman d'imager le milieu des cartels, comme un air de faire du divertissement avec une histoire triste, et si Cruise se donne à coeur joie pour faire de Seal un homme sympathique et haut en couleurs, Liman réussit parfaitement son passe-passe en nous dévoilant des scènes de vol efficaces et malines, toujours maîtrisées. L'homme n'est plus à présenter, son art non plus : c'est un maître du divertissement d'action, autant que du thriller décomplexé (comme il le prouve ici).