Une question se pose : Clint Eastwood va-t-il s'arrêter un jour ? Parce que l'air de rien, il va sur ses 90 ans quand même ! Evidemment, les cinéphiles avertis n'ont aucune envie que ça s'arrête tant que ce dernier monstre sacré de l'âge d'or du cinéma hollywoodien nous servira des films aussi solides. "Le cas Richard Jewell" ne déroge pas à la règle : solide donc, teinté d'une belle sobriété. Ce n'est pourtant pas son meilleur film : pas aussi puissant que "Million dollar Baby" ou "Gran Torino", pas aussi émotionnant que "Sur la route de Madison". Mais ce n'est pas non plus son moins bon, "Au-delà" étant là pour nous le prouver. C'est donc un 4/5 que je donne au récit de ce fait divers qui a secoué les Jeux Olympiques d'été à Atlanta le 27 juillet 1996. Alors que le sport est dignement fêté, Atlanta s'est vue tristement rimer avec attentat, encore que le facteur chance soit intervenu pour limiter le nombre de victimes. Le facteur chance se nomme en grande partie Richard Jewell, passant ainsi au rang de héros avant de basculer sur le statut de principal suspect. On connaît Eastwood pour son goût envers les héros. Sa filmographie récente en témoigne. Il n'en fallait donc pas plus pour que le maître Eastwood se penche sur le cas de Richard Jewell. Seulement le cinéaste a changé un peu sa façon de faire. D'habitude, il se focalise très rapidement sur son ou ses personnages principaux. Là ce n'est pas le cas, préférant multiplier d'abord les différents intervenants. J'ai trouvé cela assez désarçonnant car j'ai craint de me perdre au milieu de tous ces personnages. S'il en est de même pour vous, prenez patience car ce procédé est habile pour mieux implanter le contexte et décrire l'environnement qui va graviter autour du personnage central. Et si je dis ça, c'est parce qu'au final, je n'ai pas vu passer les 2h et quelques de film. Et pour cause ! La prestation de Paul Walter Hauser est tellement éblouissante qu'il rend irrésistiblement son personnage attachant. Impossible de ne pas prendre en sympathie ce fameux Richard Jewell qui, comme son nom de famille l'indique, est un joyau. Un joyau de gentillesse et de dévouement. Cependant il révèle également un côté agaçant. Agaçant par sa naïveté.
Agaçant par son mal être qui l'étouffe. Agaçant par sa tendance à se soumettre à tout.
Un être humain, quoi. Un être humain avec ses faiblesses. Un être humain à l'apparence physique un peu atypique avec ses lèvres qui parfois se mouvent un peu comme un bec de canard. Pour être honnête, il m'a fait un peu penser à Caliméro, ce petit personnage affublé de sa coquille d’œuf un peu utopiste sur les bords, ce qui le rend naïf et incroyablement gentil, ce qui en fait quelqu'un de résolument touchant. Ici pas de coquille sur la tête, seulement une casquette. Mais je n'ai pu m'empêcher qu'il manquait presque une réplique : « c'est vraiment trop injuste ».
C'est au moment même où je me suis pris à penser ça qu'un « c'est injuste » est sorti de la bouche de Jewell.
Confortée par les six années qui suivirent cet attentat, l'interprétation des faits de la part du réalisateur et de son équipe est claire. Ces derniers se sont principalement positionnés sur le point de vue de Richard Jewell. Ceci a un avantage : celui de démontrer comment le système peut broyer un héros ordinaire.
Quand je parle de système, je parle des forces de l'ordre, des médias, et fatalement de l'opinion publique
. Pourtant le spectateur vient à douter lui aussi de la non culpabilité de Richard
, principalement par l'accumulation des preuves indirectes, qu'elles soient matérielles, verbales, ou comportementales. Des preuves indirectes qui en font le coupable idéal
. Ainsi Eastwood brouille savamment les pistes, même s'il s'est contenté de retranscrire les faits. Encore fallait-il savoir les mettre en scène, les informations relatives au sujet étant très nombreuses. Finalement, on a le schéma suivant : une proie (Richard Jewell), un garde-chasse (l'avocat Watson Bryant) et les chasseurs affamés (l'agent Tom Shaw pour les forces de l'ordre, et Kathy Scruggs pour les médias). Tous les acteurs sont convaincants. Paul Walter Hauser bien sûr dans le rôle-titre. Sam Rockwell aussi dans le rôle de l'avocat, dont les services de défense ont été motivés par une chose qui parait bien légère au vu de l'importance de l'affaire. Mais il constituera la solidité dure comme du roc dont a besoin Jewell : l'ange gardien qui doit empêcher Bambi de se faire bouffer tout cru en mettant en avant ses droits. En attendant, l'acteur réussit la prouesse de faire changer notre sentiment vis-à-vis de son personnage. Et pourtant, Dieu sait que ce n'était pas gagné au vu des premières scènes tant il paraissait... infâme. Jon Hamm dans la peau de l'agent Shaw montre une détermination de tous les instants, jusqu'à s'en laisser déborder au point de bafouer les droits du citoyen. Etait-ce une façon de condamner les modalités d'une enquête qui se voulait expéditive ? Etait-ce une façon de dénoncer cette propension à matérialiser une intuition ? Pardon, une conviction ? Et puis il y a Olivia Wilde en journaliste en quête perpétuelle de sensationnalisme
, tellement affamée par le scoop qu'elle n'hésite pas à utiliser son corps pour aller à la pêche aux informations. Bon, moi, au contraire de l'agent Shaw, elle ne m'a pas fait rêver. Suffisante, arrogante, j'en ai presque eu un orgasme quand elle se fait démonter au sein même de la fourmilière journalistique. La concernant, ça va être un véritable tournant dans son point de vue, malheureusement ce ne sera pas vraiment exploité par la suite
. Et puis il y a Kathy Bates dans le rôle de la mère Jewell, cette mère
qui ne peut rien faire d'autre que de contempler la machine infernale lancée par le FBI et les médias détruire son fils
. Toujours est-il qu'on peut féliciter la direction d'acteurs. Ils sont parfaits. Si parfaits qu'on ne saura rester sans réagir devant les façons de faire de la police et des médias
: une maison assiégée, le profit des moments de faiblesses du suspect pour boucler une enquête par l'intimidation et l'influence mais aussi par le biais de mensonges éhontés
. Il me semble que nous pouvons tous les féliciter. Tout comme Clint Eastwood. Car même si ce n'est pas son film le plus fort, il sait toujours faire, le bougre ! Toujours cette capacité à passer d'un personnage à un autre sans coupure. Toujours des moments formidables de tension, comme par exemple lorsque sa caméra s'attarde sur le sac suspect, plan magnifiquement accompagné d'une note musicale lancinante. Toujours des moments d'émotion,
comme l'allocution de Bobi Jewell lors d'une conférence de presse,
ou comme le soulagement larmé de Richard. Et puis il y a ce moment fort. Fort et inattendu. Inattendu au vu de la psychologie du personnage. Inattendu comme Eastwood sait toujours nous l'offrir. Deux raisons qui rendent ce moment plus puissant, suffisamment puissant pour en être
, à l'image de l'avocat,
estomaqué. Ce moment, c'est la dernière confrontation officielle entre l'agent Shaw et Jewell. Pour finir, je tiens à souligner la description chirurgicale des rouages d'un système qui veut à tout prix désigner un coupable le plus rapidement possible, simplement pour rassurer la population mais SURTOUT pour ne pas gâcher la fête olympique et préserver les bienfaits économiques. Evénement juteux, quand tu nous tiens... Oui c'est vrai : quand on y réfléchit, c'est édifiant. Vous ne trouvez pas ? Constitué d'une force tranquille qui ne vous lâche pas jusqu'à la fin, "Le cas Richard Jewell" est un film discret intéressant en bien des points qui mérite bien qu'on s'y penche dessus.