Les compères Richard Glatzer et Wash Westmoreland, découverts par "Echo park, L.A." (2006) au Festival de Sundance, ont continué leur carrière en duo par ce cinéma indépendant. "Still Alice" est leur dernier bijou en date, et le dernier pour Glatzer. Atteint d'une sclérose en plaques particulièrement rare, il est décédé tout juste avant la sortie en salle. Tous mes hommages, Richard Glatzer.
"Still Alice" ou comment se mettre dans la peau d'une personne victime de la maladie d'Alzheimer.
La mise en scène, fluide et au cordeau (!), nous permet de rentrer de plein fouet dans le scénario écrit par le tandem des réalisateurs, et ainsi de se mettre dans la tête d'Alice interprétée avec maestria par une étincelante Julianne Moore.
La mise en scène, au service d'un scénario extrêmement travaillé et fouillé, capte les sentiments d'Alice : ses pensées, ses colères, ses pertes de repère et de mémoire (magnifique impression de brouillard lors de l'un de ses footing), sa joie de vivre (très belle scène de plage en compagnie de son mari sur la côte pacifique), son combat contre la maladie... en somme, toute l'intensité de la personnalité d'Alice nous confronte à la réalité concrète de ce que vivent les personnes réellement atteintes de la maladie. Ceci n'est pas un film relatant une vie inventée et anodine, "Still Alice" raconte non seulement le point de vue de la personne déficiente sans tomber dans le larmoyant, mais évoque aussi le soutien des proches qui, ici, n'évite aucunement la prise de vue subjective. "Still Alice" est réaliste, objectif, et tout en nuances, brosse le portait d'une famille américaine à l'occidentale conforme à la réalité de tous les jours. Alice, professeur de langues, est ici une personne à part entière, entourée de son mari et de ses trois enfants devenus adultes. La vie a fait son chemin... au grand dam d'Alice.
Portée par la mise en scène, la musique évite le recueillement et le larmoyant, encore une fois ! Elle nous entraîne dans les tourments et les facéties de la maladie. Le compositeur Ilan Eshkeri (débutant en même temps que Matthew Vaughn pour la réalisation ("Layer cake"), il a ensuite travaillé sur "Ninja assassin", "47 ronin"...) suit pas à pas les traces d'Alice et de sa famille. Avec tact, fermeté, mais toujours avec une certaine douceur.. Une bande-son lancinante, troublante, sans fausse-note, toujours dans le bon ton, voluptueuse à souhait de nostalgie, et qui s'accorde volontiers sur un montage enlevé et méticuleux de Nicolas Chaudeurge (le documentaire "Les ailes pourpres" au sujet des flamants, c'est lui).
Il ne me reste plus qu'à parler casting. "Still Alice", dans cette catégorie, officie en catégorie poids lourd : Julianne Moore (qu'on ne présente plus : "Le fugitif", "Le monde perdu", "The hours"...) dans le rôle d'Alice, Alec Baldwin (lui aussi star des 90's : "A la poursuite d'Octobre rouge", "Code mercury", "Pearl Harbor") jouant le mari pris par son travail, et Kristen Stewart (s'éloignant ainsi de la saga "Twilight" qui a fait sa renommée internationale) qui incarne une fille d'Alice. Ces trois monstres de cinéma restent omniprésents à l'écran. Rien que pour notre plus grand plaisir ! Et c'est non sans délectation que nous nous laissons porter par ces cadors, tous dans leur genre.
Julianne, complètement habitée par son rôle, nous livre une solide interprétation, l'une de ses meilleures sans aucun doute !! Campant une Alice fragile, troublée et à fleur de peau, Madame Moore transcende sa performance d'actrice, et prouve qu'elle peut tout jouer. Cette façon de nous montrer tout son talent, l'aura qu'elle détient sur le cinéma, la récompensée de Venise (coupe Volpi pour "Loin du paradis") nous le transmet d'une justesse infinie. Milles mercis Madame !!! Et cette façon de retrouver Julianne Moore après les 90's et le début des années 2000, je trouve cela étincelant de sa part. Elle est à la fois ravissante, électrisante, onctueuse... . On ne peut qu'adhérer ! En tout cas, je vote pour ! Une démonstration de force !!!, tout simplement. Je la compare aujourd'hui sans aucun doute à une Jeanne Moreau contemporaine à cause de sa classe à la française. Tous mes chapeaux, Madame Moore.
A ses côtés, le toujours impec' Alec est parfait dans le personnage qu'il interprète (le mari), et le duo qu'il forme avec l'actrice affrontant Hopkins dans "Hannibal" est revigorant à souhait. Bingo ! Kristen, LA fille d'Alice, quant à elle, apporte une beauté glaciale. S'affichant sans complexe devant sa mère de cinéma, elle m'a prouvée qu'elle est rentrée dans la cour des grands depuis longtemps. Et ce n'est pas le récent cannois "Sils Maria" ou l'un de ses premiers métrages fincherien ("Panic room") qui va me dire le contraire !
Pour conclure, "Still Alice" (2015) est un chef d’œuvre à part entière, tant sur le sujet (Alzheimer), que sur la mise en scène (des dorénavant séparables Glatzer et Wash Westmoreland) ou sur la direction d'acteurs (impériale Julianne Moore s'apparentant à une Signoret ou une Moreau française. C'est dire !!!, si les récompenses qu'elle a reçues sont méritées !: Oscar, Golden Globe, BAFTA... !!).
Coup de maître assuré. Âmes sensibles s'abstenir.
Spectateurs en perte de mémoire, "Still Alice" est fait ...pour vous !