Romain Goupil, est, depuis des années, un cinéaste en marge. Morgueux trublion de la société française depuis 68, trotskyste, il s’est quelque peu isolé dès 2003 en soutenant la guerre en Irak. Ses nombreux documentaires (« Mourir à trente ans » en tête) et les quelques fictions réalisées, révèlent un homme entier, profondément authentique et parfois un peu psychorigide. J’étais donc curieux de découvrir ce docu-fiction. L’homme d’idées a bel et bien changé, radical il l’est tout autant, mais pour affronter la vraie vie, celle de tous les jours, non pas l’idéalisée. Monter un dossier de retraite, penser à une convention obsèques, présider l’association de copropriétaires, gérer la famille… autant de petits faits anodins du quotidien qui empoisonnent la vie de l’artiste, perturbe le penseur. De ce postulat de départ, et avec un énorme sens de l’autodérision, Goupil nous livre un film sensible, drôle, humain et protéiforme. Le film démarre, comme une œuvre militante des années 70, ponctuée de ban-titres « l’argent », « la cité, « le monde », « l’idée » « elle », tout cela pour bien planter le décor, puisque ces thèmes seront des leitmotivs qui constituent l’ossature du film. On y découvre donc un Goupil, débordant d’activités, entre la création de films qui n’aboutiront pas (l’idée), sa femme et ses enfants (elle) où encore des images de Sarajevo en guerre dont l’idéaliste qu’il est, ne désire en voir que la reconstruction (le monde). Nous sommes dans le domaine de l’intime avec des séquences d’archives, des scènes reconstituées, l’homme se bat pour des idéaux plus rationnels ou émotionnels. Et s’il en vient à remettre en cause mais 68, ce qui lui vaudra les foudres d’une ex trouvant que son « cynisme est un discours de vaincu », Goupil s’ne fout, il a donné, vécu et se recentre aujourd’hui sur l’essentiel, qui tient pour lui « au plaisir des autres ». Et c’est dans ce sens que le film, et de fait le propos, est enthousiasmant. Goupil n’est pas rentré dans le rang, il ne le fera jamais, simplement il a acquis une forme de sagesse, un pragmatisme loin de toute utopie stérile. Certaines scènes sont désopilantes (celle où ses parents lui reprochent son conformisme par rapport à l’éducation du fiston, l’assemblée des copropriétaires s’invectivant comme à la grande époque pour une question de buvette, le fils qui ne retient de 68 que les combats avec les forces de l’ordre comme dans le pire des jeux vidéos, la belle-mère fan de Tito…), d’autres sont splendides (le père, ex chef’op confiant à son fils son intention de se suicider s’il avait perdu la vue, la salle d’attente à la caisse de retraite, ou bien quand il filme sa femme, ses enfants…). Le tout se terminant avec un énorme pied de nez, la scène de l’enterrement, où les amis de toujours (Berroyer, Desplechin, Glucksman, Weber, Cohn-Bendit, Ourdan, Amalric…) sont présents mais pas forcément tendres avec lui… Romain Goupil, malgré ses 63 ans est toujours aussi pétillant et histrion et ne manque pas de le faire savoir ! La forme est différente, le fond toujours prégnant… Après tout, « il faut toujours écouter les conseils d’un vieux quand il ne peut plus donner le mauvais exemple » En 2004 il se confiait aux « Inrocks » déclarant « qu’il ne cherchait qu’à faire des films biens, des œuvres qui lui ressemblent guidées par l’honnêteté de ses partis pris ». Avec « Les jours venus », le pari est non seulement tenu mais réussi, son film est génial !