Ce n’est jamais bon signe qu’un film commence à subir le feu nourri des critiques avant même qu’on en ait vu les premières images et ce, quelque soit la qualité effective du produit fini. De toute façon, on peut immédiatement balayer ces ridicules accusations de white-washing puisque Scarlett Johansson a finalement l’air presque plus orientale que le Major Kusanagi de l’Anime : compte tenu de son passif filmique (I.A. désincarnée dans ‘Her’, Alien au sens métaphysique du terme appréhendant l’humanité à travers un corps d’emprunt dans ‘Under the skin’), le choix de faire appel à elle pour un tel rôle relève d’une certaine logique. En fin de compte, l’appréciation finale qu’on nourrira vis-à-vis de ce Ghost in the Shell hollywoodien dépendra énormément de la façon dont on appréhende le projet au départ : souhaite-on le considérer comme un blockbuster de science-fiction américain accessoirement adapté d’un Anime culte, ou au contraire comme la transposition d’un chef d’oeuvre de l’animation japonaise, prise en charge par un studios, des équipes et des acteurs américains ? Dans le premier cas, ‘Ghost in the Shell’ est un film plutôt correct et distrayant ; dans le second, un nid à controverses, à défauts structurels et à fanboys outragés. Examinons la première option : Ghost in the Shell ne fait foncièrement que ressasser les vieilles obsessions post-2001 relatives à la part qui prédomine au sein d’une symbiose entre l’homme et la machine et prend la mesure de la frontière de plus en plus théorique qui empêcherait un ensemble de processus mentaux, sensoriels et psychologiques artificiels - un “ghost� , quoi - structuré dans un corps mécanique, de faire partie intégrante de l’Humanité. Il le fait toutefois à sa manière mais dans un relatif respect de ce que ‘Ghost in the shell’ était à l’origine. Même s’il allège considérablement la réflexion de manière à se faire comprendre de tous, même du Kevin qui bave dans son popcorn au dernier rang, le résultat n’en reste pas moins notoirement moins idiot qu’une production Marvel. On notera que pas mal de critiques mettent en balance la nature novatrice du manga de Masamine Shirow et la facture assez conventionnelle de cette adaptation...en oubliant au passage que le manga remonte à 1989, que ce qui était novateur il y a 30 ans l’est nettement moins aujourd’hui, et que certains esprits chagrins auraient alors pu estimer que Shirow (comme tous les Japonais, si on se rappelle un peu du climat anti-nippon qui prévalait à l’époque) ne faisait finalement que copier et imiter grossièrement Kubrick et Arthur C.Clarke. La seule chose que cette démonstration par l’absurde prouve, c’est que pour ceux qui refusent d’accepter, alors qu’on a presque rejoint la temporalité du film, que Ghost in the Shell n’est plus aussi original et déstabilisant qu’il a pu l’être par le passé, il aurait mieux valu que cette adaptation survienne plus tôt. De toute façon, il faut éviter de s’accrocher à une notion intransigeante de la “fidélité� lorsqu’on aborde un travail d’adaptation : c’est valable en toute circonstances et spécialement ici. Rupert Sanders s’est montré capable de développer une esthétique propre au film, mais qui s’avère parfois un peu trop tape-à-l’oeil et vulgaire au regard d’un Anime qui n’avait rien de clinquant...sans compter que les effets numériques donnent parfois l’impression de n’être pas complètement aboutis. Surtout, la simplification de la plupart de ses éléments narratifs, et le fait qu’on comprenne tout sans efforts au lieu d’éprouver cette désorientation perplexe que suscitait l’adaptation animée de Mamoru Oshii (dont Rupert Sanders reproduit pourtant à l’identique nombre de scènes), a un impact sur la perception du résultat, qui perd quelques parcelles de son pouvoir de fascination : on a moins l’impression de regarder quelque chose de rare et unique, qui réclame des efforts et une réelle implication de la part du spectateur, on éprouve moins ce rythme syncopé et cette mélancolie sous-jacente tenace, ici oblitérées par l’obligation de tourner des scènes d’action musclées. Ces éléments ne font pas de ‘Ghost in the Shell’ un mauvais film mais quelque chose qui manque de spécificité, quelque chose de trop édulcoré, trop étudié pour rassembler habitués et néophytes, qui n’a pas la moindre chance de laisser une empreinte et d’exercer une influence comparables à celles de son modèle : un des blockbusters (moyennement) convaincants de 2017 qui deviendra, d’ici une dizaine d’années, un des blockbusters oubliés de 2017.