Si on rattache Robert Zemeckis à tout un pan de classiques de la pop culture, on oublie facilement que ses films les plus récents ont tout autant de puissance cinématographique. Preuve en est avec « The Walk ».
1974. Philippe Petit, funambule français, va tenter de traverser sur un fil les deux tours du World Trade Center peu de temps avant leur inauguration.
La performance technique a toujours été au cœur du cinéma de Zemeckis, comme un enfant qui pose des questions à l’apparence invraisemblable. Comment transformer Tom Hanks en six personnages différents ? Comment faire interagir un acteur avec lui-même ? Comment filmer à travers un miroir pour questionner le rapport sans doute faussé au père ? Comment permettre à Tom Hanks de rencontrer Nixon et Lennon ? Ces interrogations sont ainsi autant de promesses technologiques qui ont surtout été riches de manière narrative. Ici, si les effets semblent plus discrets, ils sont tout autant essentiels pour l’histoire qui va être narrée. Car ici, Zemeckis aborde par le biais du merveilleux le deuil envers l’une des tragédies ayant marqué l’histoire des États-Unis, le tout dissimulé dans un film de braquage romanesque.
Certains tiquent sur l’aspect carte postale dans la représentation de la France. Cette innocence de prime abord dissimule pourtant un œil neuf sur l’Amérique, son fonctionnement et ses ambitions culturelles. Le regard étranger de Petit cherche à amener quelque chose d’extérieur aux États-Unis, afin d’aborder l’un de ses pans historiques de manière cachée. Pas de critique frontale ici mais quelque chose de plus subtil, tel le final parodique (et mécompris) de Retour vers le futur. La discrétion est encore de mise, le merveilleux et le questionnement nous prenant à revers par la suite.
Le film fut ainsi un défi technique pour les responsables des effets spéciaux, notamment par la longueur des plans de Zemeckis. Là où des trucages moins bons peuvent passer inaperçus lors de séquences sur-découpées, une réalisation aussi lisible qu’ici impose un travail de qualité permanent, notamment dans la reconstruction de décors d’époque hyper détaillés, notamment en arrière-plan du climax. Ce dernier, tout aussi numérique que la plupart des blockbusters actuels, a été le fruit d’une méticulosité de la part des responsables techniques, censé privilégier un rapport au réel permanent dans cette reconstruction historique d’un événement non filmé. Car, point important, si l’on a de la traversée de Philippe Petit des images, on n’en a aucune vidéo suite à une caméra défectueuse.
Le film prend dès lors la tournure d’une allusion artistique par rapport à la recréation d’une réalité sur grand écran. Là où un « Bohemian Rhapsody » cherchait à faire un copier-coller du concert Live Aid pour les spectateurs n’ayant pas pu le vivre, « The Walk » semble s’interroger sur la légitimité de son action et l’on pourrait voir en Petit une personnification de Zemeckis. Lui qui a été un pionnier de la performance capture, il fonce droit vers l’inconnu, malgré les accidents de dernière minute qui confèrent plus de force à son acte encore. Mais au fond, pourquoi agissent-ils ainsi, prêts à ruiner leur carrière, l’un par les dangers de la traversée, l’autre par l’incertitude d’un box-office prompt à féliciter tout produit commercial bien vendu plutôt que les propositions différentes ? Pour donner vie à l’immatériel.
Et là, on touche à la grâce de « The Walk » : en offrant une vision de cette traversée majestueuse entre les World Trade Center, Zemeckis cherche à aider les américains à se les réapproprier. Rattachés à jamais aux avions ayant foncé dessus le 11 septembre 2001, les tours ne sont désormais plus que des souvenirs, des traumas béants dans le patrimoine américain. En rejouant cette déclaration d’amour, le réalisateur de « Forrest Gump » fait de même, offrant aux tours jumelles une valeur cinématographique et cherche à les transcender autrement que par la terreur. En cela, la fin douce-amère du film joue à une reconstruction psychologique par rapport à un acte terroriste toujours aussi ancré aux États-Unis. Cette marche est donc également une main tendue vers un chemin de rédemption, d’avancée vers l’acceptation de l’acte et une possibilité de tourner la page. L’échec financier du film n’en est que plus dommageable, évitant le bellicisme propre aux attentats pour aborder une forme de victoire sur la crainte amenée par le terrorisme.
Et pourtant, « The Walk », derrière son apparente simplicité, reste un long-métrage remarquable à bien des niveaux et fonctionne toujours autant, même sans vivre sur grand écran les frissons du vertige. Car si l’abîme est bien sous nos pas, le craindre ne conduit qu’à une impossibilité de vivre, tel un deuil permanent dont on ne sait se relever…