Franchement, ce film m'a envoûté, et peut-être est-ce ce "charme" que j'attends de l'univers merveilleux des contes.
Dès la première séquence, une représentation de bouffonnerie qui met mal à l'aise la reine incarnée par Salma Hayek, le ton est donné : dérision et douleur, démesure baroque, choix du non-dit (l'image et le symbole primant sur le dialogue), dilatation du temps, exploration des noirceurs humaines...
C'est un film déroutant, volontairement. Il entrecroise trois contes, peu ou pas connus puisque issus d'une tradition italienne ancienne, même si elle convoque des motifs familiers (la reine en mal d'enfant, la vieille femme en quête de jeunesse, la femme de l'ogre...), mais dans un développement étrange. Trois récits en pointillés, une alternance des focus sur les étapes de chaque récit, sans qu'on comprenne immédiatement le lien entre eux (si lien réel il y a, si ce n'est la cohérence d'un monde tissé du même merveilleux). Pourtant l'ensemble se déroule avec une rigueur qui semble implacable, comme si on nous invitait à éclairer le sens de chaque conte par comparaison avec les autres, une matière qui s'"autoenrichit" au fil du récit en quelque sorte.
Rien à voir avec un traitement hollywoodien linéaire, épique et d'une esthétique lourde et convenue. Ici, tout amène au questionnement, à l'intime et à une forme de beauté troublante. Les décors et costumes sont magnifiques, à la fois réalistes et intemporels, on ne sait même plus trop dans quel contrée pourraient se passer ces histoires (j'ai pour ma part beaucoup plus pensé à l'Espagne baroque qu'à l'Italie), il y a à la fois de la surcharge et une puissante stylisation (les intérieurs, épurés, les extérieurs sous le signe du labyrinthe, comme en témoignent ces plans magnifiques des châteaux... et même un authentique labyrinthe, et la grotte de l'ogre...). Les acteurs brillent par leur retenue, y compris pour les rôles qui se prêteraient naturellement au cabotinage : la reine, belle, hiératique et inquiétante n'en est pas pour autant maléfique, elle a même quelque chose de profondément humain, les deux soeurs gueuses sont très touchantes lorsqu'elles acceptent de croire à l'illusion, les deux "demi-frères" portent une belle relation, étrange et pleine de non-dits, et la douce Violetta fait l'apprentissage de la révolte et de l'affirmation de soi après un périple initiatique douloureux...
Etrange est vraiment le terme qui désigne le mieux ce film. Et c'est la matrice même du conte. Nous sommes tellement habitués à l'univers des contes (ou du moins à ce que nous pensons être l'univers du conte), aseptisés par Disney ou réadaptés à toutes les sauces, qu'on ne se souvient plus que le conte nous amène à poser un regard nouveau, décalé, dérangeant sur le réel. Il n'y a pas que du merveilleux et de la féérie dans l'univers du conte. Au contraire, il y a bien plutôt de l'aberrant, et même du choquant. A ce propos, on voit ici et là de nombreux commentaires sur le côté gore du film... c'est très surprenant ! Quelques scènes qui prennent les images du conte au sens littéral (manger un coeur de dragon... n'y a-t-il pas une histoire de coeur arraché à une biche dans Blanche-Neige ?), mais qui n'ont rien d'abusivement "gore", loin s'en faut. Le conte propose des images crues, brutales parfois, et ce film n'occulte pas cet aspect... pourtant j'ai vu des films "grands publics" infiniment plus violents et complaisants.
Voilà, c'est vraiment un film à découvrir, pour tous ceux qui sont blasés des revisitations scolaires et "fashion" des contes traditionnels qui ont pullulé ces dernières années, avec une fortune diverse. A mon sens, ce film est l'un des plus réussis du genre. "Le conte des contes" ne se propose-t-il pas comme la quintessence du genre ?