Auréolé de son Lion du futur au festival de Venise, et sensation du dernier Sundance, "White Shadow" figurait tout en bas des sorties de la semaine. 7 salles France, à peine quelques séances par jour, et demain ciao ou presque, j’imagine, dans le ballet sans pitié de la programmation, le grand pousse-toi-donc-que-je-m'y-mette. Les exploitants ont les chocottes et on peut les comprendre : La forme est limite, la narration pas super limpide, et pourtant…Si on mesure un film à la trace qu’il laisse en vous, alors celui-là, qui ne me quitte plus depuis que je l’ai vu mercredi dernier, doit être un sacré morceau. Je m’en veux d’ailleurs d’avoir gardé ce trouble pour moi, de ne pas avoir posé plus tôt ma petite critique, histoire d’entrainer quelques spectateurs à voir ce 1er long formidable, à la croisée de la fiction et du documentaire. En fait, un exemple assez hallucinant d’ethnofiction, selon le mot de Jean Rouch, et peut-être davantage encore : du cinéma contaminé par les arts plastiques. Bien-sûr, le film est plein de défauts, ses (pauvres) conditions de production sautent parfois aux yeux, comme quand on nous sous-titre des bribes de phrases que, faute d’ingé son à ce moment là, on n’a pas pu entendre, ou lorsque Noaz Deshe fait courir sur ses images, comme une voix-off en pire, des dialogues qui n’ont aucun rapport avec ce qui nous est montré. Une façon assez crâne de nous dire "je vous met tout, hein, je ne renonce à rien"... Le point aussi est souvent approximatif, quelques séquences en deviennent abstraites… mais malgré tout ça, le film sidère par sa générosité démente, cette fièvre qui le tient, cette déferlante d’images où s’enchainent des scènes de pûr cauchemar et d’autres à la grâce ensorcelante. Et c’est le mot : White Shadow est un grand film sorcier. Les Cahiers le chroniquent du bout des lèvres, en soupçonnant la pose, l’artiste qui ferait le malin avec un sujet plus gros que lui, mais c’est tout le contraire, l’œuvre d’un auteur engagé et opiniatre (5 ans de sa vie, quand même – ça fait long long la pose !) qui réussit avec la fiction ce que le documentaire (et il y en a eu) ne pouvait ici qu’effleurer : dire l’horreur, l’horreur absolue que constitue encore au XXIème siècle cette traque des albinos, autant haïs que convoités. Il le dit avec la puissance de son cinéma en transe, il le dit aussi avec ses personnages, tous inventés mais incroyablement incarnés : Alias, le jeune ado qui essaie de survivre à l'assassinat de son père, Kosmos l’oncle ambigu qui l’a recueilli, Antoinette, sa petite amoureuse, et Salum, l’elfe tragique, son frère d’adoption, son compagnon d’infortune. On ne pourra pas les oublier.