On peut déjà saluer l’audace, l’originalité de ce premier long. "Vincent n’a pas d’écailles" fait à coup sûr partie de ce qu’Olivier Assayas appelle les films-laboratoires, ces petites pépites de l’art-et-essai qui à défaut de faire de l’art ont au moins choisi d’essayer : tenter des trucs, se frotter à une histoire neuve, ignorer les codes, voire même enfreindre quelques règles… Et pour être honnête, j’ai d’abord été intriguée par le film, puis franchement séduite. Et puis, et puis, irrésistiblement, je me suis lassée. Pas sûr, comme le suggèrent certains ici, que le manque de péripéties en soit la cause. Je pense au contraire que ce scénario en 4 actes (le gars étrange et mutique qui cultive son don en secret, qui rencontre une fille avec qui il a envie de le partager,
qui se risque à l’utiliser pour son sauver un ami en danger et qui doit finalement s’enfuir
) était tout à fait suffisant pour tenir la distance. Non, pour moi, c’est un problème de style. Ou plutôt d’absence de style. C’est bien de faire le choix d’un héros mutique (mis bout à bout, les dialogues doivent tenir sur une seule page), d’opter pour le zéro musique ou presque (hors une vague scène de fête et le " Fantastic Man" du générique de fin qui ponctue aussi la bande annonce, on a juste droit à quelques trilles de flûte), et de n’user crânement que d’une grammaire très simple - plans larges ou moyens pour l’essentiel, quelques panos pour emballer le tout - on pense un moment à Guiraudie (celui du "Roi de l’évasion" plutôt que de "L’inconnu du lac") et puis non, on se dit que décidément l’image est trop moche, les cadres vraiment trop molassons. Pas fastoche d’être devant et derrière la caméra, d’accord, mais on dirait que Thomas Salvador se repose sur son dispositif technique, le savant harnachement que lui a bricolé Rémi Canaple, roi des trucs et bouts d’ficelle, enfin du bon cable à l’ancienne (Vincent nage et surgit de l’eau comme jadis volait Superman). Il ne fait rien par exemple pour nous faire partager l’élément liquide, ces lacs et rivières où Vincent se baigne, comme un univers sensible, le lieu magique où il éprouve et fortifie son don. La caméra n’est ici qu’un outil d’enregistrement, une petite boite commode pour capter des situations qu’on espère assez fortes, étranges ou burlesques, c’est selon. Eh bien non, ça ne suffit pas, et la présence singulière de Thomas Salvador ou le talent de la délicieuse Vimala Pons n’y changent rien. En fait, je m’en rends compte, j’en veux beaucoup au réalisateur et à ses producteurs d’avoir porté jusque-là ce projet enthousiasmant et de s’être arrêtés en chemin. Pour l’emmener plus loin, il aurait fallu un peu d’inspiration dans la mise en scène, et un rien d’exigence, de doute, d’insatisfaction… Vincent n’a pas d’écailles et Thomas Salvador non plus. Juste peut-être un petit poil dans la main.