Il y a beaucoup de choses intéressantes dans le film de Baya Kasmi, co-scénarisé par Michel Leclerc. Ce même Michel Leclerc, à l’origine du très étonnant et enthousiasmant « Le nom des gens » a déjà prouvé qu’il avait une vision acérée de la société moderne et qu’il était capable d’écrire des scenarii de comédie qui visent juste et appuient pile là où le bas blesse. « Je suis à vous tout de suite » à d’ailleurs pas mal de point communs avec « Le nom des gens » : un personnage principal féminin désinhibé en apparence mais avec un trop plein de sensibilité, une histoire d’amour en apparence improbable mais qui trouve rapidement une sincérité surprenante, une critique acerbe mais sans haine de la religion et de ses excès, de seconds rôles très hauts en couleurs qui n’hésitent à flirter avec une certaine caricature etc… Ici, il n’est pas question de politique mais de religion, d’identité et d’amour propre : le fond est différent mais la forme pas tellement. Vimala Pons est parfaite dans son rôle de fille gentille, très gentille, bien trop gentille qui perd le respect d’elle-même dans les problèmes des autres. Même si son rôle est attachant, on a parfois du mal à croire à un altruisme si poussé (surtout qu’elle est DRH !) et son personnage frôle quand même dangereusement la caricature. C’est d’ailleurs une constante dans la famille Belkacem : les parents sont quand même très particuliers, çà n’existe pas des parents comme çà, si ? Pour ce qui est du rôle de Donnadieu-Hakim (Mehdi Djaadi, excellent), c’est un peu différent. Là on n’est plus dans la caricature mais plutôt dans le registre du cliché : devenu voyou au contact de ses copains de la Cité, puis dealer, puis enfin musulman pur et dur au point de vouloir partir vivre en Algérie, il symbolise à lui seul tous les clichés du jeune de banlieue. Finalement, les rôles les plus crédibles sont plutôt à chercher hors de la famille. Ils sont d’ailleurs parfaitement tenus par Laurent Capelluto et Camelia Jordana (oui oui, la chanteuse). La réalisation du film est soigné, il y a quelques jolies choses à l’écran (utilisation du flou), les scènes dérangeantes (parce qu’il y en a) sont pudiquement suggérées sans plus. Même si on voit pas mal de corps nus dans « Je suis à vous tout de suite », c’est toujours filmé avec une certaine délicatesse et/ou un certain humour. Il y a quand même quelques scènes assez incroyables et drôles dans l’appartement d’Hanna, je n’en dis pas plus. Et puis de temps à autre, le film se paye le luxe de quelques scènes courtes et d’ironiques, par exemple la prostituée et la fille voilée qui fument sereinement une cigarette côte à côte dans la rue, comme deux copines. A d’autres moments, il nous offre des scènes pleines de pudeur et de retenue comme la scène du restaurant. Mais, entre ces (nombreuses) scènes très réussies, le film tourne un petit peu à vide. En fait, le scénario de « Je suis à vous tout de suite » souffre en réalité d’une sorte de « trop plein », on n’a l’impression que le film veut dire plein de choses, veut traiter plein d’aspects, veut explorer plein de pistes et du coup, qu’il manque d’une vraie colonne vertébrale. C’est difficile à expliquer mais pendant une grande partie du film, on se demande où il veut nous emmener, il se disperse. Il ne trouve finalement sa cohérence qu’assez tardivement, dans ses dix dernières minutes. Cela dit, le scénario est intéressant dans le sens où il vise juste, terriblement justes même sur certains points très sensibles et ultra casse-gueule : la critique du marketing Hallal qui caresse l’intégrisme dans le sens du poil pour faire de l’argent (ce qui est quand même un comble au regard des préceptes de l’Islam !), l’Islam presque « artificiel » et « vestimentaire » d’une jeunesse qui ne sait plus du tout où elle en est, le conformisme de la Cité (Hakim devient voyou par imitation et/ou intimidation, puis religieux pour exactement les mêmes raisons !), le phantasme du pays d’origine qui résiste mal à la réalité socio-économique, etc… En fait, c’est sur le parcours d’Hakim que le film est le plus percutant et aussi le plus pertinent je trouve. En résumé, « Je suis à vous tout de suite » est un film drôle, qui peut se targuer s’être à la fois acide et tendre, bien réalisé, bien interprété mais qui veut peut-être trop bien faire. Il laisse néanmoins une impression agréable et mérite qu’on s’y attarde. Je ne sais pas si il fera rire tout le monde (j’en doute, les ultra religieux manquant cruellement d’autodérision en général), mais moi j’y ai quand même trouvé quelque chose d’assez rare : un humour fin et subtil.