septiemeartetdemi.com - Première impression : Villeneuve a un truc pour tout ce qui fait du son.
Tout de suite, il nous baigne dans une soupe où tout est fait de bruits. À plusieurs moments, il va jouer cette carte pour nous immerger dans son ambiance : quand Louise met son casque dans l'hélicoptère et que le bruit du moteur baisse pour laisser la place à celui saturé des voix dans les microphones (sublime idée), quand les combinaisons craquent d'agréables froissements plastifiés, quand les vaisseaux se meuvent. On en chercherait presque la certification "approuvé ASMR" !
D'autre part, les sons produits par les heptapodes sont recherchés, rappelant celui des tripodes de La Guerre des Mondes (Steven Spielberg, 2005) ; un long souffle profond, roulé et métallisé, parsemé d'interférences bruissantes et détonantes. Sans compter que les flashs mémoriels de Louise commencent par le son sans l'image, et que la musique de Jóhann Jóhannsson se confond souvent avec le reste de l'environnement sonore, nous laissant croire que quelque objet l'a provoquée dans l'histoire et non en-dehors. Tout cela donne une atmosphère très prégnante, quoique son usage s'affaiblisse à la moitié du film comme si cela ne servait qu'à faire les présentations.
Deuxième impression : l'œuvre prend son temps.
Elle se répète graphiquement quand il faut montrer les tâches répétitives des scientifiques dans une situation que le spectateur n'est pas censé imaginer seul, ce qui est une forme de lenteur en soi mais qui n'est qu'un moyen de crédibilisation. Là où le film est lent de la manière la plus authentique, c'est quand il faut pénétrer dans le vaisseau. La procédure est détaillée : enfilage des combinaisons, trajet en voiture (agrémenté d'ailleurs de plans aériens terriblement esthétiques), installation du dispositif d'ascension, combat des scientifiques avec la peur de cet habitacle plein de vide où la gravité n'a litérallement plus aucun sens, installation du matériel et enfin échange des intéressés avec les aliens.
Villeneuve va ensuite accentuer la quantité de travail fournie par les protagonistes en nous montrant ce processus plusieurs fois (abrégé bien sûr), ce qui à force va jouer avec la frontière entre l'intérêt et l'ennui, mais ça passe ; on n'en est quand même pas au niveau de rabâchage imbécile d'Edge of Tomorrow (Doug Liman, 2014)...
Le son et le temps ne sont pas les seuls éléments dont le régisseur va abuser de la flexibilité. Il y en a encore deux autres qu'il va s'amuser à faire ployer : la lumière et la gravité.
La première, il la manie en cinéaste et se spécialise dans l'utilisation du moins possible de ladite, prenant le risque de devoir mettre en valeur une maîtrise photographique en plus de la narration d'une histoire qui, à la base, s'adresse à un grand public n'y étant pas forcément sensible.
La seconde, il va montrer que, comme le temps lui-même, elle n'importe pas. Sur le papier, il est facile de déformer les deux : la relativité du temps est tout à fait compatible à une narration spéculative, et la gravité est très bien retranscrite par les plans d'apesanteur, tout clichés qu'ils soient.
Sans doute ne faudrait-il pas catégoriser Villeneuve, qui n'est tombé dans aucune de ces deux facilités : la façon qu'il a de se jouer du temps est effectivement assez platonique mais ne répond pas aux standards d'un flux scénaristique compliqué qui se perdrait en explications de ses propres méandres. Le twist est très très TRÈS vite dénoué, sans tension particulière, avec des éclaircissements si délicats qu'ils ne sont en aucun cas menacés par l'épée de Damoclès des films temporels : le paradoxe. Et si cela peut faire penser que la fin est plate, il faut encore compter sur le relatif "héroïnisme" de Louise, probablement l'élément le plus irréaliste du film (j'exclus ce qui tient de la SF pure et simple bien sûr). Car Louise est dépeinte comme un couteau suisse, ne la montrant pas sous un jour particulièrement valorisant : linguiste, polyglotte, pleine d'assurance, courageuse pour avoir supporté des épreuves et en subir de nouvelles... Elle aide effectivement à épicer le dénouement mais elle-même, en tant que personnage, est poussée beaucoup trop loin.
Toutefois, s'il faut retenir encore autre chose d'Arrival, c'est la fusion de deux formes telle qu'on avait déjà pu la remarquer dans Gravity (Alfonso Cuarón, 2013) ou même Interstellar (Christopher Nolan, 2014) : le mélange de la science-fiction avec la science au point que l'œuvre sacrifie parfois de son tout-publicisme pour la cause d'un réalisme nouveau. De la science-science-fiction, en quelque sorte. Côté linguistique, le film en dit peu, mais ce qu'il dit est (assez) bon, surtout dans la méthodologie (moins dans les détails). Le film a eu droit à ses consultants linguistiques ; la consultation scientifique est rarissime pour les films de SF, et il s'agit d'une première dans cette science-là.
La fusion en question n'est d'ailleurs pas que là : l'introduction est un pur drame, et ouvre un champ des possibles que le réalisateur va employer à cent pour cents. Ce sont les flashs mémoriels de Louise, puis le twist. Cette histoire dans l'histoire, il aurait pu la laisser couler en parallèle comme le ferait n'importe quelle fiction, et la révéler aux moments opportuns. Mais le bougre, avec les moyens précédemment cités, l'a au contraire laissée affleurer sous chaque scène sous la forme de la fatigue de Louise et de ses hallucinations, en justification des coups de mou du scénario qui, normalement, auraient dû se faire sentir chez le spectateur comme des instants plus ennuyeux que d'autres où le scénariste n'avait d'autre choix que de faire du bouche-trou ; cela arrive tout le temps.
Il est possible de trouver d'autres griefs au film : l'utilisation de la théorie de Sapir-Whorf selon laquelle la langue détermine la façon dont on voit le monde ne saurait expliquer ce que produit l'apprentissage de la langue heptapoïde dans le cerveau de Louise. Il s'agit là d'une exploitation fainéante d'un trait scientifique qui sonnait sûrement trop bien pour être ignoré. Pourquoi aussi, alors que le film a la super bonne idée de sous-titrer en langue humaine ce que signifie le langage écrit des heptapodes (Louise peut le lire ! Ça, ça a la classe), pourquoi faut-il que Louise soit à même de se faire comprendre en langage humain parlé, alors que 1) les heptapoïdes ne sont pas censés avoir de langage parlé et 2) rien n'indique qu'ils soient capables de l'apprendre, et a fortiori qu'ils l'ont effectivement appris ?
Cependant, il est assez facile lors du visionnage de jeter ces défauts dans la petite poubelle intitulée "on s'en fout, c'est de la SF". Cette poubelle est petite quand on se veut critique, mais Arrival ne la fait pas déborder. Tout juste, quand même.
En gros, Premier Contact se situe à mon sens un peu en-dessous de la barre de sa popularité. Mais mon avis est à relativiser : pour les raisons que j'ai détaillées à la première ligne, c'est un film que j'ai beaucoup anticipé et au sujet duquel j'avais les outils pour être exigeant et montrer du doigt ses insuffisances. J'aurais pu être très déçu, je le suis à peine.
Il n'y a qu'une chose que je puisse réellement exprimer en mettant de côté mon enthousiasme pré-visionnage et ma pseudo-"spécialisation" dans l'étude des langues en autodidacte : l'histoire est assez peu cathartique alors qu'elle aurait pu l'être plus, et ce à mon avis assez facilement. Il y a un léger "syndrôme Inception" dans la dernière partie, qui doit s'expliquer (graphiquement et pas longuement, comme on l'a dit, mais qui doit s'expliquer quand même) au lieu de participer au crescendo émotionnel dont devraient être dotées toutes les histoires de fiction ayant pour but avoué de transporter le spectateur dans un autre monde.
Mais vous savez quoi ? Le film est réussi, plaisant visuellement et dans son histoire, et Villeneuve est un excellent réalisateur. Alors ne faites pas trop confiance à mes remarques de grognon parce qu'il m'a beaucoup plu de toute façon.